Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/235

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(Ces récits ont pourtant un fond de vérité.) Mais ce qui lui répugne le plus, ce sont les habitudes allemandes des hôpitaux, c’est l’idée que des étrangers le soigneront pendant sa maladie, c’est la sévérité de la diète, enfin les récits qu’on lui fait de la dureté persévérante des feldschers et des docteurs, de la dissection et de l’autopsie des cadavres, etc. Et puis, le bas peuple se dit que ce seront des seigneurs qui le soigneront (car pour eux, les médecins sont tout de même des seigneurs). Une fois la connaissance faite avec ces derniers (il y a sans doute des exceptions, mais elles sont rares), toutes les craintes s’évanouissent : il faut attribuer ce succès à nos docteurs, principalement aux jeunes, qui savent pour la plupart gagner le respect et l’affection du peuple. Je parle du moins de ce que j’ai vu et éprouvé à plusieurs reprises, dans différents endroits, et je ne pense pas que les choses se passent autrement ailleurs. Dans certaines localités reculées les médecins prennent des pots-de-vin, abusent de leurs hôpitaux et négligent leurs malades ; souvent même ils oublient complètement leur art. Cela arrive, mais je parle de la majorité, inspirée par cet esprit, par cette tendance généreuse qui est en train de régénérer l’art médical. Quant aux apostats, aux loups dans la bergerie, ils auront beau s’excuser et rejeter la faute sur le milieu qui les entoure, qui les a déformés, ils resteront inexcusables, surtout s’ils ont perdu toute humanité. Et c’est précisément l’humanité, l’affabilité, la compassion fraternelle pour le malade qui sont quelquefois les remèdes les plus actifs. Il serait temps que nous cessions de nous lamenter apathiquement sur le milieu qui nous a gangrené. Il y a du vrai, mais un rusé fripon qui sait se tirer d’affaire ne manque pas d’accuser le milieu dans lequel il se trouve pour se faire pardonner ainsi ses faiblesses, surtout quand il manie la plume ou la parole avec éloquence. Je me suis écarté de nouveau de mon sujet : je voulais me borner à dire que le petit peuple est défiant et antipathique plutôt à