Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que par ouï-dire. Dans notre salle étaient internés tous les condamnés des bataillons qui devaient recevoir les schpitzruten[1] ainsi que les détenus des sections militaires établies dans notre ville et dans l’arrondissement qui en dépendait. Pendant les premiers jours, je regardais ce qui se faisait autour de moi avec tant d’avidité, que ces mœurs étranges, ces prisonniers fouettés ou qui allaient l’être me laissaient une impression terrible. J’étais ému, épouvanté. En entendant les conversations ou les récits des autres détenus sur ce sujet, je me posais des questions, que je cherchais à résoudre. Je voulais absolument connaître tous les degrés des condamnations et des exécutions, toutes leurs nuances, et apprendre l’opinion des forçats eux-mêmes : je tâchai de me représenter l’état psychologique des fustigés. J’ai déjà dit qu’il était bien rare qu’un détenu fût de sang-froid avant le moment fatal, même s’il avait été battu à plusieurs reprises. Le condamné éprouve une peur horrible, mais purement physique, une peur inconsciente qui étourdit son moral. Durant mes quelques années de séjour à la maison de force, je pus étudier à loisir les détenus qui demandaient leur sortie de l’hôpital, où ils étaient restés quelque temps pour soigner leurs échines endommagées par la première moitié de leur punition ; le lendemain ils devaient recevoir l’autre moitié. Cette interruption dans le châtiment est toujours provoquée par le médecin qui assiste aux exécutions. Si le nombre des coups à recevoir est trop grand pour qu’on puisse les administrer en une fois au détenu, on partage le nombre en deux ou en trois, suivant l’avis formulé par le docteur pendant l’exécution elle-même ; il dit si le condamné est en état de subir toute sa punition, ou si sa vie est en danger. Cinq cents,

  1. Les schpitzruten sont des verges dont l’usage était très-fréquent en Allemagne au siècle dernier, et qui, du reste, y ont été inventées (note du traducteur)