Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/308

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monde s’attendait a une bonne querelle lors de l’achat du nouveau cheval. La curiosité était excitée, chacun d’eux avait ses partisans ; les plus ardents s’agitaient et échangeaient déjà des injures. Le visage rusé de Iolkine était contracté par un sourire sarcastique ; mais il en fut autrement que l’on ne pensait : Koulikof n’avait nulle envie de disputer, il agit très-habilement sans en venir là. Il céda tout d’abord, écouta avec déférence les avis critiques de son rival, mais l’attrapa sur un mot, lui faisant remarquer d’un air modeste et ferme qu’il se trompait. Avant que Iolkine eût eu le temps de se reprendre et de se raviser, son rival lui démontra qu’il avait commis une erreur. En un mot, Iolkine fut battu à plate couture, d’une façon inattendue et très-habile, si bien que le parti de Koulikof resta satisfait.

— Eh ! non, enfants, il n’y a pas à dire, on ne le prend pas en défaut, il sait ce qu’il fait ; eh ! eh ! disaient les uns.

— Iolkine en sait plus long que lui ! faisaient remarquer les autres, mais d’un ton conciliant. Les deux partis étaient prêts à faire des concessions.

— Et puis, outre qu’il en sait autant que l’autre, il a la main plus légère… Oh ! pour tout ce qui concerne le bétail, Koulikof ne craint personne.

— Lui non plus.

— Il n’a pas son pareil.

On choisit enfin le nouveau cheval, qui fut acheté. C’était un hongre excellent, jeune, vigoureux, d’apparence agréable. Une bête irréprochable sous tous les points de vue. On commença à marchander : le propriétaire demandait trente roubles, les forçats ne voulaient en donner que vingt-cinq. On marchanda longtemps et avec chaleur, en ajoutant et en cédant de part et d’autre. Finalement, les forçats se mirent eux-mêmes à rire.

— Est-ce que tu prends l’argent de ta propre bourse ? disaient les uns, à quoi bon marchander ?