Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/310

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lui criait Romane, — et Gniedko s’en allait tranquillement jusqu’à la cuisine où il s’arrêtait, attendant que les cuisiniers et les garçons de chambre vinssent puiser l’eau avec des seaux. — « Quel gaillard que notre Gniedko ! lui criait-on, il a amené tout seul son tonneau ! Il obéit, que c’est un vrai plaisir !… »

— C’est vrai ! ce n’est qu’un animal, et il comprend ce qu’on lui dit.

— Un crâne cheval que Gniedko !

Le cheval secouait alors la tête et s’ébrouait comme s’il eût entendu et apprécié les louanges ; quelqu’un lui apportait du pain et du sel ; quand il avait fini, il secouait de nouveau sa tête comme pour dire : — Je te connais, je te connais ! je suis un bon cheval, et tu es un brave homme !

J’aimais aussi à régaler Gniedko de pain. Je trouvais du plaisir à regarder son joli museau et à sentir dans la paume de ma main ses lèvres chaudes et molles, qui happaient avidement mon offrande.

Nos forçats aimaient les animaux, et si on le leur avait permis, ils auraient peuplé les casernes d’oiseaux et d’animaux domestiques.

Quelle occupation pourrait mieux ennoblir et adoucir le caractère sauvage des détenus ? Mais on ne l’autorisait pas. Ni le règlement, ni l’espace ne le permettaient.

Pourtant, de mon temps, quelques animaux s’étaient établis à la maison de force. Outre Gniedko, nous avions des chiens, des oies, un bouc, Vaska, et un aigle, qui ne resta que quelque temps.

Notre chien était, comme je l’ai dit auparavant, Boulot ; une bonne bête intelligente, avec laquelle j’étais en amitié ; mais comme le peuple tient le chien pour un animal impur, auquel il ne faut pas faire attention, personne ne le regardait. Il demeurait dans la maison de force, dormait dans la cour, mangeait les débris de la cuisine et n’excitait en aucune façon la sympathie des forçats qu’il connaissait tous