Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/55

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laient de malice. Pas plus de dix-neuf ans. Au lycée, ou l’eût appelée un « coussin ».

Tout autre était la fille de Versilov. Grave, grande, un peu maigre, le visage long et remarquablement pâle, d’opulents cheveux noirs, de vastes et sombres yeux au regard profond, la bouche petite et fraîche dans son liséré de lèvres minces, elle était la pre­mière femme qui ne m’inspirât pas de dégoût. Vingt-deux ans. Nulle ressemblance formelle avec Versi­lov ; mais beaucoup de similitude dans l’expression.

Je m’attendais de sa part à quelque procédé déso­bligeant, et j’étais prêt à y répondre ; à Moscou, son frère, lors de notre première rencontre dans la vie, n’avait-il pas trouvé le moyen de me blesser ? Elle ne me connaissait pas de vue ; mais sans doute avait-elle appris que je venais chez le prince. Tous les faits et gestes du prince excitaient l’attention jalouse de cette foule de parents et d’ « aspirants » : sa sym­pathie pour moi n’avait donc pu passer inaperçue. Je savais qu’il s’intéressait beaucoup à Anna An­dréievna et lui cherchait un fiancé ; mais il était plus difficile de trouver un fiancé pour Anna Andréievna que pour les jouvencelles aux broderies.

El voilà que Mlle Versilov, en serrant la main du prince, me regardait avec une curiosité avide et, voyant que je la regardais aussi, me saluait d’un sou­rire. Sans doute le codé mondain voulait qu’entrant dans un salon elle épandît, à la ronde, des amabili­tés de convention ; mais ce sourire-là, évidemment, n’était pas conventionnel. J’en éprouvai une sensa­tion extraordinairement agréable.

— C’est... c’est... mon jeune et excellent ami Ar­cade Andréiévitch Dol..., balbutiait le prince en re­marquant qu’elle me saluait et que je restais assis.