Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/77

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Il sourit.

— Ce qui est arrivé là-bas provient de ce que vous aimez trop les conversations abstraites. Sans doute vous taisiez-vous depuis longtemps.

— Je me taisais depuis trois ans. Trois ans je me suis préparé à parler... Tout à l’heure, je me suis con­duit d’une façon inepte. Peut-être m’avez-vous jugé moins sot que ne l’indiquaient les apparences... Mais je crains de vous avoir paru bien vil.

— Vil ?

— Oui. Dites-moi, ne me méprisez-vous pas pour avoir dit que je suis le fils naturel de Versilov... et m’être, par-dessus le marché, vanté d’être le fils d’un serf ?

— Vous vous tourmentez trop. Si vous trouvez que vous avez eu tort, il n’en faut plus parler. Vous avez, encore cinquante ans devant vous.

— Je sais, je sais, il me faut être très silencieux avec les hommes. La pire vilenie, c’est de s’imposer à eux par des paroles. Et voici que je m’impose à vous ! Mais ce n’est pas la même chose que chez Dier­gatchov. Et si vous avez compris cette différence, je bénis ce moment.

Vassine sourit de nouveau.

— Venez me voir quand vous voudrez, me dit-il. Quoique je sois actuellement fort occupé, vous me ferez plaisir... J’ai connu votre sœur, Elisabeth Macarovna, l’année passée, à Louga... Mais voici Kraft qui s’arrête : il doit s’impatienter.

Je serrai fortement la main de Vassine et je rejoi­gnis Kraft, qui avait marché devant nous pendant cette conversation. En silence nous gagnâmes son logis.