Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/104

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a loin, j’ai laissé partir le bateau, et je ne pourrais faire toute cette distance à la nage.

— Viens donc, dit Alioscha.

Toute mon âme tressaillit en entendant sa voix.

— Assieds-toi, continua-t-il, le vent est à tout le monde, et tout le monde aura sa place dans mon palais de planches.

Nous montons. La nuit est sombre ; pas d’étoiles, grand vent ; les vagues s’élèvent, et nous sommes déjà à une verste du bord.

Personne encore n’a parlé.

— Un orage, dit mon patron, un orage sérieux. Depuis que je me connais, je n’en ai pas encore vu de pareil sur la rivière. Ce sera tout à l’heure une vraie tempête. Ce bateau est trop chargé, et nous ne pourrons y tenir trois.

— Non, nous ne pourrons y tenir trois ; il paraît que l’un de nous est de trop.

En prononçant ces mots, la voix d’Alioscha tremblait comme une corde de violon.

— Eh bien, Alioscha, je t’ai connu petit enfant. J’étais le camarade de ton père, et nous mangions ensemble le pain et le sel. Dis-moi donc, Alioscha, ne pourrais-tu pas atteindre le bord sans