Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/118

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l’heure est venue, je me suis tout rappelé. Tout ce qui est passé, je l’ai revécu dans mon âme insatiable.

— Il est amer de commencer à se contenter du passé, dit le vieillard mélancoliquement. Le passé, c’est comme le vin bu. Qu’y a-t-il de bon dans le passé ? C’est un cafetan usé : on le jette !

— Et il en faut un nouveau, – saisit au vol Catherine en riant avec effort, tandis que deux grosses larmes se suspendaient à ses cils comme des diamants. – On ne peut vivre seul, fût-ce un instant. Le cœur d’une jeune fille est vivace, et le tien ne battra pas toujours à l’unisson. As-tu compris, vieillard ?… Tiens, regarde, une de mes larmes est tombée dans ton verre.

— Est-ce par beaucoup de bonheur qu’on t’a payé ton chagrin ? Dit Ordinov d’une voix tremblante d’émotion.

— Il est probable, barine, que tu as beaucoup de bonheur à vendre, riposta le vieillard. Pourquoi interviens-tu quand on ne te parle pas ? Et il se mit à rire d’un rire amer et silencieux en regardant insolemment Ordinov.

— J’en ai eu pour mon argent, – dit Catherine