Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/166

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II


Maintenant donc, messieurs, je vais vous conter ― que vous le désiriez ou non ― pourquoi je suis incapable d’être même un goujat. Je vous déclare solennellement que j’ai plusieurs fois essayé de devenir un goujat. J’ai échoué. C’est une maladie que d’avoir une conscience trop aiguë de ses pensées et de ses actions, une vraie maladie. Une conscience ordinaire, médiocre, suffirait, et au delà, aux besoins quotidiens de l’humanité ; ce serait assez de la moitié, du quart de la conscience commune aux hommes cultivés de notre malheureux dix-neuvième siècle et qui ont de plus la malechance d’habiter à Pétersbourg, la plus abstraite ville du monde, la plus abstraite et la plus spéculative. (Car il y a des villes spéculatives et des villes antispéculatives.) On pourrait se contenter, par exemple, de ce que possèdent de conscience les hommes d’action et tous ceux qu’on appelle des individus de premier mouvement.