Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/197

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Mon développement intellectuel était morbide, comme est celui de tout homme cultivé de notre temps. Eux, au contraire, stupides, étaient pareils entre eux comme les moutons d’un troupeau. J’étais peut-être seul dans mon bureau à trouver ma condition celle d’un lâche esclave, et c’est pourquoi je pouvais me croire seul développé, et c’était réel, j’étais un lâche et un esclave, je le dis sans détours, car tout homme digne du nom d’homme moderne est et doit être un esclave : c’est son état normal. J’en suis convaincu, c’est une chose fatale. Et que disais-je « moderne » ? Toujours, dans tous les temps, un homme digne de ce nom a dû être un lâche et un esclave. C’est la loi de la nature pour tout honnête homme. Et si cet honnête homme commet, comme malgré lui, quelque action d’éclat, qu’il ne s’en réjouisse pas, qu’il n’y puise pas de consolations pour les mauvaises heures, car cette mémorable action ne l’empêchera pas de faire banqueroute à l’honneur dans quelque autre circonstance : telle est l’unique conclusion. La suffisance et le contentement de soi sont le propre des ânes.

Ce qui me faisait le plus souffrir, c’est que j’étais