Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/264

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lendemain du bal (il y a trois jours), il envoya cette lettre par un ami avec lequel elle était venue à cette soirée… et… eh bien, voilà tout. »

Elle baissa les yeux, toute confuse.

Pauvre fille ! elle conservait cette lettre comme une chose précieuse, et elle avait tenu à me montrer cet unique trésor, ne voulant pas me laisser m’en aller sans savoir qu’on pouvait, elle aussi, l’aimer honnêtement et sincèrement, et qu’on lui parlait avec respect. La destinée de cette lettre était sans doute de jaunir dans un coffret, sans autre conséquence. Mais n’importe, je suis certain qu’elle l’aura toujours conservée comme un trésor, comme son orgueil palpable et sa palpable excuse. Et dans un pareil moment, elle avait songé à m’apporter cette pauvre lettre, pour étaler naïvement son orgueil devant moi, pour se réhabiliter à mes yeux, pour que je la félicite… Mais je ne lui dis rien, je lui serrai la main et je sortis. J’avais si grande hâte de m’en aller !

Je fis tout le chemin à pied malgré que la neige tombât à gros flocons. J’étais fatigué, écrasé, étonné : mais déjà sous l’étonnement la vérité se faisait jour, ― une sale vérité.