Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/283

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Car on peut être pauvre et honnête. (Je balbutiais.) Du reste… Veux-tu du thé ?

― Non… commençait-elle ; mais…

― Attends.

Je me levai vivement et courus chez Apollon. (Il fallait bien me cacher quelque part !)

― Apollon, ― bredouillai-je avec une précipitation fiévreuse en lui jetant les sept roubles que j’avais durant tout ce temps gardés dans ma main, ― voici tes gages, tu vois ? je te les donne. En revanche, sauve-moi ! va tout de suite chercher au traktir du thé et dix soukhars [1]. Si tu n’y vas pas, tu me désespéreras. Tu ne sais pas qui est cette femme… C’est… tout ! Tu t’imagines peut-être… Mais c’est que tu ne vois pas qui est cette femme !…

Apollon, qui s’était déjà remis au travail et qui avait déjà repris ses lunettes, loucha d’abord vers l’argent, sans quitter son aiguille ; puis, sans me prêter la moindre attention, sans me répondre, il continua à se disputer avec son fil qui faisait des difficultés pour passer par le trou de l’aiguille. J’attendis trois minutes, debout devant lui, les

  1. Grands biscuits.