Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/106

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le corridor, tout près de la porte de son fils ; on étendit là une petite natte pour lui. À chaque instant il entrait dans la chambre ; son aspect était effrayant. Il était tellement tué par le chagrin, qu’il semblait avoir perdu tout sentiment, toute idée. Transi de crainte, il branlait machinalement la tête, tremblait de tout son corps et sans cesse dialoguait à voix basse avec lui-même. Je croyais que la douleur allait le rendre fou.

Un peu avant le jour, le vieillard, vaincu par la souffrance morale, s’endormit sur sa natte ; c’était le sommeil d’un homme tué. Entre sept et huit heures commença l’agonie du fils ; je réveillai le père. Pokrovsky, en pleine possession de sa connaissance, nous dit adieu à tous. Chose étonnante, je ne pouvais pas pleurer, quoique mon âme fût comme brisée en morceaux.

Mais, plus que tout le reste, les derniers moments du malade furent poignants et douloureux pour moi. Remuant sa langue avec effort, il demandait continuellement quelque chose, sans que je pusse découvrir le moindre sens dans ses paroles. J’avais le cœur navré. Pendant une heure entière il fut agité, tourmenté par un désir qu’il cherchait en vain à expri-