Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/232

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sans rien donner, en disant : « Dieu vous donnera. » Certains « Pour l’amour du Christ » ne font encore rien. (Il y en a de diverses sortes, matotchka.) Certains sont psalmodiés d’une voix lente, traînante, avec des intonations apprises qui révèlent la longue habitude de la mendicité ; en ce cas il n’est pas encore trop pénible de ne pas donner : on se dit qu’on a affaire à un mendiant de profession que l’expérience a depuis longtemps cuirassé contre les refus. Mais parfois cet appel à la charité est proféré d’un ton inaccoutumé, rude, terrible. Aujourd’hui, par exemple, quand j’ai pris le papier du petit garçon, un individu qui était debout contre le mur et qui ne demandait pas l’aumône à tout le monde m’a dit incontinent : « Donne-moi un groch, barine, pour l’amour du Christ ! » et d’une voix si rude, si saccadée, que j’ai frissonné, pris d’une sorte de terreur, mais je ne lui ai pas donné de groch ; je n’en avais pas. Et encore les gens riches n’aiment pas que les pauvres diables se plaignent tout haut de leur infortune : « Ils nous ennuient, ils sont importuns ! » disent-ils. Oui, la pauvreté est toujours importune : — les gémissements des affamés empêchent, n’est-ce pas, les repus de dormir !