Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/79

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inadvertance, le plaça la tranche en dehors ; il souriait, rougissait et ne savait comment effacer son crime. Peu à peu, les conseils de Pokrovsky prévalurent contre les mauvais penchants du vieillard. Lorsque l’étudiant n’avait pas vu plus de trois fois de suite son père en état d’ivresse, à la première visite il lui donnait, en prenant congé de lui, soit vingt-cinq kopeks, soit un demi-rouble, ou même davantage. De temps à autre, il lui achetait des bottes, une cravate ou un gilet. Le vieil employé, vêtu de ses effets neufs, était fier comme un coq. Il venait quelquefois passer un moment chez nous. Il apportait à Sacha et à moi des pommes, des coqs en pain d’épice, et tout le temps il nous parlait de Pétinka. Il nous priait d’être bien attentives en classe, bien obéissantes ; il disait que Pétinka était un bon fils, un fils exemplaire, et, de plus, un fils savant. En causant ainsi avec nous, il clignait l’œil gauche d’une façon si comique, il faisait des grimaces si amusantes, que nous ne pouvions réprimer notre folle envie de rire. Maman l’aimait beaucoup. Mais le vieillard détestait Anna Fédorovna, quoique, devant elle, il fût « plus tranquille que l’eau, plus bas que l’herbe ».