Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 67 —

férentes armes sans en référer ni à Ney, ni à Davout, ni à Murat, encore bien moins à Napoléon.

« Koutouzoff ne fit aucune disposition et se contenta d’approuver ou de ne pas approuver celles qu’on lui proposa. »

« Sa longue expérience de la guerre lui avait appris, ses idées de vieillard le portaient à comprendre que la direction de centaines de mille hommes, engagés dans une lutte à mort, est au-dessus des forces d’un homme. Il savait que le sort des batailles ne dépend pas des dispositions du commandant en chef, de la position occupée par les troupes, de la quantité des canons et des gens tués, mais de cette force insaisissable qu’on appelle le moral des troupes, et c’est cette force qui lui servait de guide et qu’il cherchait lui-même à diriger autant que c’était en son pouvoir[1]. »

Ne résulte-t-il pas clairement de ces citations ce que nous avons toujours dit, à savoir que l’auteur, intentionnellement ou à son insu, ne dépeint que la période du combat où les troupes cessent d’être dans la main des chefs les plus élevés et qu’il oublie complètement le premier moment pendant lequel il est absolument dans le pouvoir du chef de faire marcher ou de ne pas faire marcher les troupes à l’attaque, de les diriger sur tel ou tel point, d’en engager plus ou moins. Tolstoï nie la possibilité de la direction des troupes ; mais, malheureusement, il n’explique nulle part ce qu’il entend exactement par ce mot de direction, car cette explication aurait suffi pour montrer du même coup qu’il se faisait une fausse idée de la chose. Essayons donc, en partant des citations précédentes, de nous représenter la façon dont l’auteur comprend cette direction :

1o Le fait que les deux commandants, en chef se bornent à accepter les combinaisons qu’on leur propose et à ordonner les dispositions relatives à leur exécution, ou bien à les rejeter purement et simplement, ne constitue pas à son avis une direction ;

2o Le fait qu’ils dirigent le moral des troupes, n’est pas non plus une direction ;

3o Le fait que les chefs en sous-ordre, une fois qu’ils ont reçu

  1. Ainsi il ressort du commencement de la phrase qu’il est impossible à un homme de diriger des centaines de mille hommes dans une bataille, et de la fin de la phrase, qu’il le peut tout de même ; car diriger des hommes, ou diriger le moral de ces hommes, c’est tout un.