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riaux pour leurs déductions. Peu importe si l’historien ne nous a pas fourni toutes les causes d’un événement. L’événement lui-même achèvera l’œuvre et complétera ce qui lui a échappé. Au premier historien en succéderont un second, un troisième…, un centième qui, étendant peu à peu le point de vue trop restreint de leurs prédécesseurs, corrigeant mutuellement leur « unilatéralité », arriveront à élaborer l’idée de l’événement la plus juste possible chacun pour leur époque. Et dans ce processus la critique se garde bien, comme le croit l’auteur, de réduire en poussière les déductions faites précédemment ; mais c’est à force de mettre en lumière, d’expliquer des circonstances d’abord inaperçues, qu’elle contribue peu à peu à élargir les horizons, à compléter le tour de la question.

Telle est, du reste, la méthode de toutes les sciences expérimentales, à commencer par les mathématiques appliquées, c’est-à-dire par la plus précise d’entre elles.

Prenons par exemple la topographie. Les erreurs résultant des imperfections inhérentes aux instruments eux-mêmes et les inexactitudes qui se produisent dans leur emploi, ne permettent pas d’obtenir des plans mathématiquement exacts. Est-ce une raison pour dire que ces plans ne valent rien ? Ils sont imparfaits, soit, mais pourtant pas faux. L’idée qu’ils donnent du terrain n’est qu’approximative, c’est vrai, mais ce n’est pas une idée tout à fait fausse.

Nier le fruit d’un travail séculaire en lui opposant l’idéal à atteindre, c’est perdre son temps. Qu’on vise l’idéal de la perfection, ou que l’on ne vise rien du tout, c’est tout comme ! À la devise prétentieuse de Tolstoï : « Tout ou rien », l’humanité répond par une formule beaucoup plus modeste : « Peu plutôt que rien ».

Le second procédé de l’histoire, qui consiste à envisager les actes d’un homme, chef d’État ou chef d’armée, comme le propulseur des volontés de tous, est aujourd’hui classé au rang qui lui convient ; mais, bien que l’auteur le considère comme défectueux, ce procédé ne sera jamais complètement rejeté, car il a son fondement dans la nature même des choses.

L’auteur s’insurge contre son emploi, non seulement sous prétexte que l’esprit humain refuse d’ajouter foi à ce mode d’explication, mais il va jusqu’à dire que « le procédé est faux en lui-