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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/184

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jour il n’eut plus qu’une ambition : servir sous ses ordres, connaître la guerre, la grande guerre à son école.

Le soir du même jour, il le rencontra sur les quais ; il passait en voiture, vêtu de l’habit vert d’académicien, qu’il portait de préférence, pour ne pas attirer les regards. Sur ses pas des enthousiastes couraient, criant : Vive Bonaparte ! Impassible, il passait. Jean Cardignac courait à son tour ; mais la voiture venait de s’engouffrer dans la cour du palais Mazarin, et l’enfant ne put voir les traits de son dieu.

Rêveur, il rentra rue de la Huchette et causa peu.

Ce ne fut que le lendemain qu’il raconta avec exubérance l’impression profonde qu’il avait ressentie. Catherine en souriant lui répondit :

— Tu ne m’étonnes pas, mon enfant, je suis comme toi, moi aussi, et nous ne sommes pas les seuls !…

Or, un jour de janvier 1798, notre petit sergent était allé faire un tour de promenade vers le Palais-Royal.

Il tournait le coin de la rue de Richelieu, quand il croisa un général qui passait à pied. Il le reconnut, s’arrêta net, et faisant le salut militaire, il dit hardiment :

— Bonjour, général !

C’était Kléber.

— Tiens, fit sans trop d’hésitation le colosse, car Kléber était d’une taille et d’une carrure herculéennes, c’est toi, Tapin !… Je ne te reconnaissais pas tout d’abord… C’est que tu as joliment changé. Tu es grand comme un homme, et gradé encore ! Il est vrai que tu es resté mince comme une anguille et que tu as conservé ta figure de fille. Eh bien ! qu’es-tu devenu depuis Fleurus ?

Jean raconta son odyssée.

— C’est parfait, mon petit brave ! dit alors Kléber. Ah ! ce pauvre Bernadieu !… C’est dommage… c’était un bel et bon officier…

— Oh ! certes.

— Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?

— Repartir.

— Où ça ?

— Ah ! voilà, général ! Je voudrais servir sous Bonaparte.

— Tu n’es pas dégoûté, mon gros !