Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/232

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saumâtre que seuls, les chameaux trouvent bonne, et dont ils font provision ; ils en emplissent, en effet, une poche spéciale, dans laquelle ils la conservent sans qu’elle se corrompe, puis la font remonter dans leur gorge par une simple contraction des muscles ; grâce à ce réservoir naturel, ils peuvent rester plusieurs jours sans boire, et maints Arabes, prêts à mourir de soif, ont sacrifié leur chameau pour trouver dans son estomac la gorgée d’eau qui les rappelait à la vie.

La première ville où entra Jean fut Suez ; je n’ai pas besoin de vous apprendre, mes enfants, que l’isthme de ce nom n’était pas percé, puisqu’il ne fut inauguré qu’en 1869 : les vaisseaux ne pouvaient alors, comme aujourd’hui, passer directement de la Méditerranée dans la mer Rouge.

De là, l’escadron de dromadaires visita les fontaines de Moïse, puis le mont Sinaï où les Français furent accueillis chaleureusement par les moines chrétiens qui en occupaient le couvent. Le supérieur montra au capitaine Dupuy le livre sur lequel figuraient les signatures de Mahomet et de Saladin. Bonaparte devait, quelques jours après, y ajouter la sienne. Ces signatures servaient aux moines de sauvegardes, et jamais, en effet, ils n’avaient été molestés par les musulmans.

De là, les intrépides cavaliers reconnurent la citadelle d’El-Arisch, que devait prendre quelques jours après le général Reynier ; et, la laissant derrière eux, ils se dirigèrent à travers les sables vers la Palestine, où se rassemblaient deux armées turques, envoyées contre les Français par le sultan de Constantinople.

Pendant ces longues courses, où il fallait se garder au moins autant contre le climat que contre les Bédouins pillards et rusés, Jean Cardignac acquit une endurance qui se traduisit par un changement profond dans sa physionomie : son teint rosé se hâla, sa figure douce revêtit une expression énergique, et le léger duvet qui ombrageait sa lèvre et qu’il fallait regarder de près pour y voir un embryon de moustache, s’allongea, s’épaissit et se teinta de brun. Déjà homme par le cœur et le caractère, il allait bientôt le devenir tout à fait par la force et le développement physique.

Maintenant, il ne faisait plus qu’un avec sa monture ; il avait appelé son chameau « Pitt » du nom d’un ancien ministre anglais, bien connu en France pour son hostilité acharnée contre notre pays. Il lui faisait faire des courses fantastiques, et poussait fréquemment, avec quelques hommes, des recon-