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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/240

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— Ça y est ! vint dire Trophime d’une voix qui ressemblait à un souffle.

À reculons, Jean se dirigea vers l’amas de sacs ; ils formaient une pyramide qui attaquait le mur de la voûte. De la lame de son poignard, sans avoir besoin d’y voir clair, il éventra l’un d’eux, et y plongea le cordeau de pulvérin auquel avait été fixé préalablement l’amadou.

Maintenant il s’agissait d’allumer cet amadou. Or, on n’avait pas alors les moyens perfectionnés d’aujourd’hui : piles portatives dont il suffit de dérouler les fils pour aller mettre le feu à la mine dans la tranchée même ; cordeau détonant qui brûle avec la rapidité de l’éclair et qu’on déroule comme un fil électrique, etc.

Les allumettes au phosphore elles-mêmes n’étaient pas connues. Jean Cardignac n’avait donc à sa disposition qu’un briquet.

— Tiens, dit-il à Trophime en le lui remettant, allume l’amadou et sauve-toi avec ton grenadier dès qu’il aura pris ; je te suivrai de près.

Et il revint à son premier poste de surveillance.

Mais ce qui était à craindre se produisit ; le bruit de l’acier, frappant le silex, fit tourner la tête au soldat turc qui, cette fois, résolument s’avança.

Il n’alla pas loin ; d’un vigoureux coup de hache, Jean l’étendit sur le sol, le crâne fendu jusqu’au milieu du nez.

Et tout eut été pour le mieux, si, dans sa chute, le musulman n’eut abandonné son fusil dont le chien, au cran de l’armé, heurta le sol et s’abattit.

Une détonation retentit.

Aussitôt une rumeur se fit entendre à quelque distance, et deux autres silhouettes apparurent à l’entrée du couloir.

Jean eut pu se sauver comme Trophime : il en eut un instant l’idée ; mais il se rappela que, étant donnée la longueur de la mèche et la lenteur de combustion du pulvérin, il fallait plus d’une minute pour que le feu arrivât jusqu’à la poudre.

Si donc les soldats turcs pénétraient dans le couloir, ils verraient la mèche fuser, auraient le temps de l’arracher ou de l’éteindre, et, si près de réussir, le plan échouerait.

Cette minute, il voulut la gagner.

Et si je vous conte en détail, cet épisode de la vie de notre petit héros, mes enfants, c’est pour vous le montrer donnant sa vie pour accomplir un