Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai encore bon pied, bon œil ; et puis… tu sais, je leur montre encore mes talents, aux bourgeois ! Jamais je ne sors sans ma canne de tambour, et, rien qu’avec ma seule patte, je te leur colle des moulinets qui sont superlatifs !

Il ne lâcha ce sujet, qui lui tenait fort à cœur, que pour faire l’éloge de Lison, et malgré tous les signes d’impatience que donna la jeune fille, il fallut que Jean connut par le menu toutes les perfections nouvelles, acquises pendant ces trois années par sa petite amie.

— Voyons, est-ce un beau brin de fille, clamait le géant en agitant son unique bras : tu dois la trouver superlativement élégante ; eh bien, apprends qu’elle fabrique elle-même, de ses doigts de fée, tout ce que dont elle porte. Tu la verras dans ses atours, le dimanche qu’elle va à l’église, depuis que le Consul a rouvert tout ça avec son Concordat et qu’il a bien fait, cornebleu, puisqu’il en faut pour tous les goûts. Tu la verras avec sa robe Piché (le géant n’avait jamais pu retenir le mot, barbare pour lui, de Psyché), avec son mantelet de tarlatane, sa ceinture à la romaine et son chapeau d’organdi. Tout ça est son ouvrage, cornebleu ; par exemple, elle n’a pas voulu couper ses cheveux et se coiffer à la Titus, comme les belles dames d’aujourd’hui, avec un cache-folies[1] ; mais ça n’empêche que tout le monde se retourne dans le quartier quand elle sort… Dame aussi, Catherine en a fait une vraie demoiselle : leçons de style, de maintien, de danse, de clavecin, s’il vous plaît. Ah ! je te donne mon billet, Tapin, que celui qui l’aura…

— Grand-père, s’écria Lisette qui tournait au coquelicot, grand-père, taisez-vous ; vous n’êtes qu’un vieux bavard !…


Le petit Jésus qui — comme on sait — passe à minuit le jour de Noël, pour faire des heureux, n’eut pas besoin d’en écouter bien long, là-haut, sur le toit, près de la cheminée, pour être satisfait.

— Ça va bien dans la maison de ce pauvre Sansonneau ! murmura-t-il. Je lui raconterai ça demain matin en rentrant.

Et vivement — car ce jour-là il est très pressé — le petit Jésus continua sa tournée.


Le lendemain, Jean se leva tard. Le bonheur et l’émotion l’avaient longtemps tenu éveillé. De plus, comme depuis des années il couchait sur

  1. Postiche remplaçant la perruque.