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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/321

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guerre. Et vous savez que l’Empereur envoyait très régulièrement en France le récit de ses opérations.

Jean avait exigé qu’on plaçât sur son lit une carte du théâtre de la guerre, et, fiévreusement, il l’étudiait constamment, cherchant à deviner le plan de Napoléon, la marche du lendemain. Lorsqu’il avait réussi, lorsque l’évènement confirmait ses prévisions, le blessé avait des accès de joie triomphante, des emballements qui n’étaient pas sans inquiéter sa femme ; car on craignait que la blessure, encore insuffisamment cicatrisée, ne se rouvrît brusquement et ne provoquât des complications.

Heureusement il n’en fut rien.

Bien au contraire, il semblait que l’illusion de la guerre que se donnait Jean Tapin lui fut plutôt favorable, car les couleurs revenaient à ses joues pâlies. Le blessé apprit ainsi la marche de concentration de l’armée française, baptisée par Napoléon du nom de Grande Armée, marche tellement imprévue, si bien organisée, que ce fut dans toute l’Europe une immense stupeur, lorsqu’on apprit qu’en vingt jours Napoléon avait réussi à rassembler toutes ses troupes sur le Rhin, le Mein et le Necker, sans qu’on soupçonnât seulement cette manœuvre hardie.

Puis le 26 septembre, ce fut l’entrée en Allemagne, le Rhin passé à Strasbourg et ensuite la marche en avant pour séparer les Autrichiens des Russes.

Enfin, le 15 octobre, la bataille gagnée par le maréchal Ney et qui devait lui donner le titre de Duc d’Elchingen, suivie le 20 octobre de la reddition d’Ulm, qui livrait à Napoléon l’armée autrichienne toute entière, avec son commandant, le général Mack.

— Ainsi ! s’écria Jean, en apprenant cette nouvelle, en vingt jours l’Empereur a détruit une armée de quatre-vingt mille hommes ! Ah ! si j’y avais été, moi aussi… si je pouvais y être maintenant… car ce n’est pas fini ! Sûrement, il ne s’arrêtera qu’à Vienne. Du coup, je veux me lever !… Je suis fort maintenant.

Il se leva, en effet — malgré les supplications de sa femme — incapable qu’il était de rester plus longtemps immobilisé.

Les premiers jours, ce fut dur, fatigant pour lui ; mais il reprit vite ses forces.