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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/396

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Oui ! c’était bien cela ! Il se rappelait nettement : ce choc au front qui l’avait assommé, c’était le coup de pistolet d’un Cosaque qui l’avait produit !

Et le blessé songea :

Je ne m’explique pas qu’il ne m’ait pas tué… Quand le coup est parti, la gueule du pistolet n’était pas à un mètre de mon visage !… Mais au fait, je suis prisonnier… J’ai senti qu’ils m’enlevaient au galop… Ah ! misère !… Puis soudain :

— Pourquoi ne m’ont-ils pas achevé ?… et, où suis-je ?

D’un effort subit, Jean se redressa, rejetant à demi la couverture qui l’enveloppait ; mais, en même temps que son buste, recouvert seulement des lambeaux de sa chemise, émergeait de la peau d’ours noir, trois exclamations simultanées retentirent, proférées en langue russe.

Jean Cardignac étonné se retourna, et vit qu’il avait été installé confortablement sur le poêle monumental de la pièce principale d’une isba campagnarde.

De Cosaques… pas l’ombre ! Mais, près de lui, trois personnages le contemplaient avec un regard affectueux… et notre ami, après un léger effort de souvenir, les reconnut.

C’étaient le vieux Fédor Moïloff, sa fille Féodora, et son petit-fils Yvan, ceux-là même que, au début de la guerre, il avait sauvés des pillards de la division italienne.

Le vieux moujik s’était avancé, et lui baisant la main :

— N’aie pas peur, petit père ! dit-il en dialecte allemand. Sois sans crainte. Tu es en sûreté, chez des amis !

— Merci ! répondit Jean, en se laissant retomber sur la fourrure, car il était encore très faible.

En effet, le bourdonnement de son cerveau reparaissait ; il lui sembla que devant son regard passaient de grandes étincelles…

Il ferma les yeux.

— Ne remue pas, petit père, continua doucement Fédor Moïloff. Tu vas aller mieux… Féodora te prépare, dans le samovar, du bon thé bien chaud… Elle y mettra de la vieille eau-de-vie de genévrier… Cela va te rendre des forces… Tu n’es que très peu blessé : la balle a rayé seulement le haut de ton front, en enlevant les cheveux et la peau… mais ce ne sera rien ; l’os n’a rien, petit père… et nous te soignerons, nous te guérirons… nous te cacherons pour que les Cosaques ne te reprennent pas.