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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/423

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— Bravo ! Et vous croyez qu’un homme qui inspire de pareils dévouements a terminé son rôle : allons donc ! dit Jean les yeux étincelants ; vous allez voir !

Il revêtit le costume qu’on lui apporta, embrassa les arrière-petits enfants du paysan, et monta dans la carriole avec lui.

— Je n’ai plus guère de jambes, avait dit le père Bataille ; mais j’ai encore de bons yeux, je connais à fond le pays et je vais vous conduire jusqu’à Reims.

Le cheval filait bien ; le soir même, sans avoir attiré l’attention des coureurs ennemis qu’ils rencontrèrent, Jean et son guide arrivaient à Reims. Ils y apprirent que Napoléon en personne était passé dans cette ville le 12 mars et en avait chassé les Russes, puis qu’il en était reparti trois jours après. On leur confirma l’entrée des Alliés dans Paris. Quant à Napoléon, on le croyait toujours à Fontainebleau.

— Avec la Garde ? demanda Jean.

— Oui, avec sa Garde : elle ne le quitte jamais.

— Vite alors, à Fontainebleau ! dit le jeune colonel dont le cœur battait à coups précipités en pensant qu’il allait le revoir.

Et ne soyez pas surpris, mes enfants, que Jean songe à rejoindre son chef et son régiment avant d’embrasser sa femme et ses enfants. Ceux d’entre vous qui sont fils de soldats sentent bien qu’ils sont aimés par leur père autant qu’un enfant peut l’être, et vous savez à quel point Jean Cardignac adorait les siens. Mais l’heure était grave : le devoir militaire devait primer tous les autres, et Jean, soldat dans l’âme, n’avait plus qu’un souci : rejoindre son poste d’honneur, son poste de combat !

Il serra avec effusion dans ses bras le père Bataille, enfourcha un cheval frais et à la tombée de la nuit, rencontra au débouché de la forêt de Fontainebleau le premier bonnet à poil qu’il eût vu depuis deux ans.

Le vieux grognard était en sentinelle sur la route et faisait les cent pas, l’arme au bras, les yeux à terre.

L’émotion de Jean Cardignac était telle qu’il en oublia son costume civil.

— Est-ce que tu es du 1er grenadiers ? demanda-t-il sur le ton d’affectueuse brusquerie qu’il prenait habituellement avec ses soldats.

Le grenadier leva la tête et fronça le sourcil. Il avait sur la joue gauche