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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/122

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Toujours est-il qu’ils étaient tous trois prisonniers, depuis cinq mois, dans la caserne des janissaires, lorsque l’assaut avait eu lieu.

On sait le reste…

En écoutant ce récit douloureux, le lieutenant se sentait bouleversé. Une émotion profonde l’envahissait.

Ce doux et triste visage de fillette, cette voix jeune, pleine de sanglots, et par dessus tout, la pensée que ces deux pauvres enfants connaissaient les pires douleurs et l’isolement à un âge où tant d’autres vivent insouciants et gais, au sein d’une famille pleine de tendresse, tout cela lui mettait au cœur une pitié débordante, doublée d’une soudaine affection.

Orphelins, ces deux pauvres petits !…

Et Henri éprouvait une amertume poignante en face des injustices du destin. Sans qu’il s’en rendît compte tout d’abord, son esprit se reportait vers son père, dont il connaissait, dans les moindres détails, la vie accidentée.

Il le revoyait tout petit, jeté sur le pavé, sans appui, sans parents, errant à l’aventure dans le grand Paris de la Révolution.

Il songeait à cette belle et noble figure du colonel Bernadieu qui avait recueilli le petit orphelin, et dont l’intervention providentielle, non seulement avait sauvé l’enfant abandonné, mais encore, en cultivant son âme, avait fait de lui un homme digne de tous les respects.

Il songeait aussi, le lieutenant de spahis, à sa grand’mère Catherine, si bonne, si accueillante au petit tambour qu’avait été son père… Puis la douce image de sa mère amena sur la paupière de l’officier une larme qu’il ne songea point à retenir, et qui roula, lourde comme une perle, sur la poussière de sa manche galonnée.

— Vous pleurez, monsieur le lieutenant ?… Oh ! vous ai-je fait de la peine ?

Il reprit vivement, en s’essuyant la joue d’un revers rapide de la main :

— Mais non ! mais non ! mon enfant, du tout !… au contraire ! Votre douloureuse histoire remue en moi un monde de souvenirs et j’en éprouve une émotion profonde et douce,… une émotion bénie, croyez-le.

Il se leva brusquement, et s’approchant de la fillette :

— Ma petite Lucienne, dit-il en lui prenant la main, vous ne serez plus seule au monde… Je suis là… Désormais, comptez sur moi… À tout à l’heure !