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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/139

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Une femme d’une quarantaine d’années, à la physionomie très jeune, à la taille élégante, aux cheveux d’un blond cendré, accourut, venant du jardin.

— Ma fille, dit le vieillard, je vous présente un ancien colonel de la Garde de l’Empereur Napoléon ; il vient de faire un voyage de plusieurs mois pour prier sur sa tombe, il est notre hôte. Veuillez lui servir de guide jusqu’à la vallée du Tombeau.

— J’allais y monter pour y porter ces fleurs, père, répondit-elle ; j’accompagnerai le colonel.

Elle alla chercher une gerbe de fleurs blanches, provenant d’un acacia odorant qui poussait dans les parties basses de l’île, et tous deux prirent ensemble le chemin qui conduisait au pied du pic de Diane.

Tout en marchant, Jean Cardignac apprit de sa compagne que, pendant les deux mois passés à Briars, Napoléon s’était montré le plus doux et le meilleur des hommes.

— Il avait une patience étonnante, dit-elle ; ma jeune sœur, qui est morte depuis, et moi, nous l’importunions de nos questions, souvent bien insignifiantes ; il y répondait toujours avec une extrême bonté. Il aimait aussi à nous interroger sur nos travaux, et je me souviens qu’un jour, nous voyant étudier la géographie, il nous demanda successivement les noms des principales capitales de l’Europe : Vienne, Berlin, Constantinople, Madrid, etc. ; quand il arriva à la Russie, je ne pus m’empêcher de rougir en répondant : Saint-Pétersbourg. Il s’en aperçut et me pressa de lui en donner la raison.

— C’est que, lui dis-je en hésitant, l’ancienne capitale n’était pas celle-là.

— Certainement, fit-il, c’était Moscou ; mais pourquoi n’est-ce plus Moscou ?

Mon embarras augmentait ; je dus toutefois me décider à répondre.

— Parce que votre Majesté l’a brûlée !

Il eut un mouvement brusque aussitôt réprimé.

— C’est dans votre histoire anglaise, que vous avez appris cela ? dit-il ; veuillez la montrer à M. de Las Cases.

Ce compagnon de captivité de Napoléon connaissait l’anglais ; il traduisit à l’Empereur le passage de la campagne de 1812, où il était dit que Napoléon, plus barbare que Tamerlan, avait mis la Russie à feu et à sang, brûlé sa capitale, et achevé les blessés à la Moskowa.

— Voilà, dit l’Empereur avec amertume en me rendant le livre quand il