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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/181

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cher homme !… Jamais, non jamais dans toute son existence, il n’avait éprouvé pareille émotion !

Quelle sensation impressionnante en effet dut-il ressentir au contact d’une masse froide et visqueuse, qui s’aplatissait sur son crâne où, justement, les cheveux brillaient par leur absence !

Combien dut-il être horrifié, en sentant couler dans son cou, sur ses tempes, le gélatineux blanc d’œuf !

Le pauvre professeur poussa un cri comme si un serpent l’avait mordu… Précipitamment il rejeta son chapeau… et, sur le sommet de sa tête, une omelette en préparation apparut.

Des sourires, aussitôt figés, passèrent sur les lèvres des méchants galopins ; je crois même que le lieutenant Corlieu en esquissa un malgré lui ; mais, sentant qu’il allait perdre toute autorité si l’esquisse se transformait en dessin, il sortit et entraîna M. Laluot dans la cour.

Peu après, le Général arrivait.

Ah ! dame il n’était pas content, et il avait joliment raison !

— Messieurs, dit-il, si le ou les auteurs de tous ces désordres ne se déclarent pas à l’instant, la classe en entier sera punie de prison et privée intégralement des grandes vacances.

C’est pour le coup que les figures s’allongèrent ! Et vous m’avouerez que la punition n’était pas volée.

Néanmoins, une solidarité étroite et ferme existait entre tous ces enfants à un tel degré, que pas un n’eût récriminé, et que tous, en bloc, eussent accepté la punition promise.

Mais notre Pierrot avait le cœur assez bien placé pour ne pas laisser endosser aux autres la responsabilité d’une faute commise — à vrai dire, d’accord avec tous — mais dont l’exécution, et surtout la conception, étaient son œuvre à-lui seul.

Il sortit de sa place et dit simplement :

— C’est moi, mon Général.

— Ça ne m’étonne pas !

La conclusion s’impose d’elle-même, n’est-il pas vrai ?

— Quinze jours de prison payèrent l’incartade, vraiment déplacée, du mauvais sujet. Encore dut-il s’estimer bien heureux d’en être quitte à si bon compte, car le Général voulait demander au Ministre son renvoi de l’École.