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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/220

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— Mon commandant, fit Delnoue d’une voix étranglée… je vous en conjure, écoutez-moi… je ne veux pas excuser ce que j’ai fait… je n’en dors plus… Mais si vous saviez combien je le regrette !

— Il est bien temps !

— Et combien je voudrais le réparer ?

Henri regarda l’adjudant ; sa figure convulsée attestait sa sincérité.

— Vous voudriez racheter votre faute, interrogea-t-il ?

— Oui, mon commandant.

— Même au prix de vos galons.

— À quelque prix que ce soit !

— Je vous crois, dit l’officier après un moment de silence… Il est peut-être encore temps : venez au réveil me trouver au bureau du 2e escadron. Je vous en indiquerai le moyen… Maintenant, donnez-moi la clef : je veux être seul avec ce malheureux.

Quand l’adjudant se fut éloigné, le commandant Cardignac tira le lourd verrou de la cellule du no matricule 4254, et dirigea le falot à l’intérieur, restant ainsi lui-même plongé dans l’ombre. Pierre ne dormait pas ; assis sur le rebord du lit de camp qui lui servait de couchette, vêtu d’une tenue de corvée, il tenait sa tête dans ses mains et ne bougea pas quand la porte s’ouvrit.

Très ému, Henri le regarda un instant, puis d’une voix très douce :

— Pierrot, fit-il, c’est moi !

Au son de cette voix, lui rappelant son nom d’enfant, le nom des jours heureux d’autrefois, l’infortuné se redressa comme s’il eût été frappé par une décharge électrique.

Il voulut crier, mais un sanglot lui contracta la gorge, et, les bras étendus, il tomba à deux genoux aux pieds de l’officier.

— Relève-toi, mon enfant, dit Henri Cardignac. Je ne suis pas venu d’aussi loin pour te faire des reproches, mais pour te sauver, si c’est encore possible.

— Oh ! mon commandant, mon commandant, c’est vous !… fit enfin le jeune brigadier… Je n’espérais plus… quel bonheur !

Et je vous assure, mes enfants, que devant l’explosion de cette affection si vraie, en entendant ce mot bonheur dans la bouche de ce malheureux, tombé pourtant au dernier degré de l’infortune, Henri Cardignac éprouva une des plus grandes émotions de sa vie, tant il est exact que rien ne vaut, pour