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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/254

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Quand on vint prévenir le général Kiriakoff qui commandait la gauche de l’armée russe, que les Français allaient le déborder de ce côté, il ne voulut pas croire l’aide de camp qui lui en apportait la nouvelle.

— Impossible ! dit-il, on ne peut grimper par là ! Il fallut bien qu’il se rendît à l’évidence en voyant revenir, décimé, l’unique bataillon posté à son extrême gauche.

Et comme il lui était impossible de dégarnir le bord de la terrasse, menacé directement par les divisions déployées dans la plaine, il demanda au prince Mentchikoff les secours de la réserve.

Bientôt des masses épaisses de Russes s’avancèrent contre la division Bosquet.

Or, vous le comprenez, mes enfants, cette division n’avait plus le droit de reculer, car il n’y avait plus pour elle de retraite possible : précipitée de la falaise dans la mer, culbutée de pointe en pointe sur les escarpements qu’elle venait de franchir, elle eût été brisée, anéantie, et sa perte eût influé certainement sur l’issue de la bataille.

— N’oubliez pas, monsieur le Maréchal, avait dit le général Bosquet avant de monter lui-même sur le plateau, que je ne puis me faire écraser plus de deux heures !

Cependant quarante-huit bouches à feu russes tonnaient contre les douze pièces de l’héroïque division.

Soudain, sur le flanc de l’artillerie ennemie, une troupe de cavalerie apparut, et on vit distinctement se former en bataille, pour charger, quatre escadrons de hussards et deux sotnias de cosaques.

Le commandant Cardignac les aperçut le premier et fronça le sourcil : il n’avait que soixante sabres à opposer à ces huit cents lances !

Et derrière lui c’était le vide, la falaise tombant à pic ; car, pour remplir son rôle de soutien d’artillerie, il avait dû appuyer à droite et tournait le dos à la mer.

Au loin dans la plaine, les bataillons des divisions Canrobert, Forey et prince Napoléon apparaissaient comme de petits carrés rouges et noirs ; mais, malgré la rapidité réelle de leur marche, ils semblaient progresser bien lentement.

Jamais ils n’arriveraient à temps !

Le général Bosquet parcourut au galop le front des troupes.