Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On l’écouta avec un religieux respect ; tous ces hommes étaient redevenus graves ; l’évocation de Napoléon Ier alluma une flamme dans tous les regards, et quand le récit fut terminé, le colonel de Korf serra la main de Henri.

— Vous êtes le fils d’un brave, dit-il ; nous retrouverons Yvan Mohiloff je vous le promets ; nous ne pouvons le connaître ; car, d’après ce que vous venez de raconter, il appartient à l’artillerie de campagne ; s’il est vivant, je saurai dès demain où il est.

— Alors, je vous demande de vouloir bien lui restituer ce portefeuille et de lui dire ; que je serais bien heureux de voir le petit-fils de l’homme qui a sauvé mon père à Vilna.

— Nous pourrons le faire venir ici à la prochaine suspension d’armes, si vous le désirez.

Henri Cardignac acquiesça ; rendez-vous fut pris au bastion Malakoff pour le jour que les hasards de la guerre fixeraient eux-mêmes, et comme la réponse du prince Mentchikoff venait d’arriver, notre ami prit congé des Russes qui, l’un après l’autre, lui serrèrent la main avec effusion et raccompagnèrent jusqu’au glacis.

La réponse ; du, prince expliquait, pourquoi il n’avait pas demandé de suspension d’armes : un sanctuaire vénéré des Russes, la chapelle de saint Wladimir, bâtie sur les ruines de l’ancienne Kherson, avait été pillé, saccagé par des soldats de la légion étrangère : — « Il ne pouvait plus, disait la note de Mentchikoff, y avoir de rapports de courtoisie, entre les deux adversaires après une aussi indigne profanation. »

Le général Canrobert reconnut le bien-fondé de cette récrimination, fit rechercher les coupables, et flétrit leur action dans un ordre à l’armée qu’il communiqua au généralissime russe.

À partir de cette date, les suspensions d’armes eurent lieu, comme il est d’usage après chaque action meurtrière.

Cependant l’hiver avait fait son apparition, un hiver terrible, et dont nos régions tempérées ne peuvent donner aucune idée, puisque la moyenne du thermomètre y était de 24 à 27° centigrades.

La cavalerie fut particulièrement éprouvée : les chevaux, insuffisamment abrités, firent bientôt pitié à voir et succombèrent en grand nombre : les chevaux arabes seuls tinrent bons : quant à Azow, le cheval russe de Pierre, familiarisé avec les rigueurs du climat, il resta le plus vigoureux de l’escadron.