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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/325

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de toutes sortes, et ses camarades de l’escadron l’accompagnèrent tous jusqu’à l’embarcadère, pour saluer en même temps une dernière fois la dépouille du chef qu’ils adoraient.

Le petit lieutenant Vautrain ne put retenir ses larmes en faisant porter le sabre au peloton d’escorte qu’il commandait, et le lieutenant de Sauterotte, se rappelant les affectueuses et sérieuses leçons qu’il avait reçues du commandant Cardignac, n’était guère moins ému que son camarade.

Jean pressa une dernière fois le jeune homme dans ses bras, lui renouvela ses dernières recommandations et le chargea, pour Valentine et son petit Georges, de ses plus chaudes tendresses ; puis le maréchal des logis monta dans la chaloupe qui devait le conduire à bord du transport.

À sa grande surprise, il aperçut à côté de lui un artilleur qu’il reconnaissait pour l’avoir vu plusieurs fois chez Jean ; il y remplissait depuis peu l’emploi d’ordonnance et se nommait Mahurec.

C’était un Breton bretonnant. Il était rose et imberbe, petit, trapu et paraissait avoir seize ans : il n’en avait d’ailleurs que dix-neuf, s’étant engagé volontairement pour la durée de la guerre.

Il avait tenu absolument à être artilleur, car il avait pour les canons une admiration sans bornes. Il aimait ces puissants engins comme d’autres aiment un cheval ou un chien, et il n’était vraiment heureux que quand sa batterie était « en action ».

Dès les premiers jours de son arrivée en Crimée, il s’était fait remarquer dans la tranchée par son imperturbable sang-froid au milieu des projectiles de toutes sortes ; on le citait surtout pour un fait d’armes peu commun : pendant le bombardement, il avait empoigné à pleins bras une bombe russe de 32 qui venait de tomber toute allumée dans la batterie ; très vigoureux malgré sa petite taille, il l’avait rejetée par dessus le parapet avant qu’elle éclatât, préservant ainsi d’une mort presque certaine les camarades qui servaient sa pièce, et Jean, très frappé de cette preuve extraordinaire de sang-froid et d’audace chez un jeune soldat, l’avait choisi pour remplacer son ordonnance tuée la veille.

Mahurec avait accepté, mais à la condition qu’il viendrait faire, à son tour et comme les autres, le service de sa pièce ; il l’avait appelée « Yvonne », du nom de sa « promise » de Paimpol, et il n’était pas de soins qu’il n’eût pour sa fiancée de bronze.