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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/401

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arrivé à ce résultat que, maître des muscles de son corps comme des ressorts de son esprit, ce fils avait vu ses facultés morales et sa puissance de volonté recevoir une nouvelle vigueur de cet entraînement physique.

De blond, Georges était devenu châtain ; mais il avait conservé le teint très blanc, et ses yeux bleus reflétaient l’intelligence et la décision ; sa bouche, petite et arquée, était à peine estompée d’un léger duvet ; il avait des mouvements harmonieux, un port de tête fier, une allure dégagée.

Ce n’était pas un « fort en thème », mais il avait dû au parfait équilibre qui s’était établi entre les facultés de son esprit et celles de sa volonté, de faire des études littéraires assez complètes et de réussir, je vous l’ai dit, à son premier examen. Il est vrai que le colonel augurait moins bien du second, l’examen scientifique ; car, manifestement, c’était l’imagination, le goût des lettres, le sens artistique qui prédominaient en lui, et les sciences ne lui disaient rien qui vaille. Il adorait les histoires de voyages et les romans d’aventure ; à douze ans, il s’était extasié sur les exploits des héros de Gustave Aymard, il avait rêvé de courses dans la savane, de surprises et d’embuscades dans les grands bois du Nouveau-Monde et frémi au récit des exploits du capitaine Corcoran.

Maintenant, c’étaient les livres de Jules Verne et l’histoire des grandes guerres napoléoniennes qui le captivaient, et Valentine, en voyant passer des éclairs dans son regard à la lecture des feuillets de Jean Tapin, s’était dit tristement déjà :

— Il n’y a plus à en douter… Celui-là aussi sera soldat !

Georgewitz entra, portant un plateau ; il déposa lentement, soigneusement sur une petite table les tasses, le sucrier, le pot à lait, alla au samovar qui fumait sur un guéridon et, toujours silencieux, versa le thé.

Lui aussi était revenu du Conservatoire des Arts et Métiers : il s’y était montré docile et appliqué ; mais son intelligence un peu bornée, sa compréhension lente ne lui avaient pas permis d’y apprendre grand’chose, et le colonel se demandait s’il ne s’était pas trompé en l’engageant dans cette voie. Il avait conservé l’aspect massif qu’il avait enfant : sa tête était grosse, sa démarche pesante, mais sa force musculaire était prodigieuse.

Toujours silencieux, il était rentré avec joie chez ses parents adoptifs, et y était aussitôt redevenu le serviteur attentif, l’ombre inséparable de Georges. De plus, il rendait mille petits services à la maison. Les premiers