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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/412

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de la Guerre ; il n’avait pas de lettre de service ; son premier but était d’en demander une, qu’on ne lui refuserait certainement pas. En arrivant dans la vaste antichambre, ornée de panoplies et de tableaux, qui précède le cabinet du Ministre de la Guerre, le colonel Cardignac eut un vif mouvement de surprise.

Il le reconnaissait, malgré ses cheveux blancs, ce solennel huissier, qui, une large chaîne d’argent sur les épaules, s’inclinait devant lui ; et il n’eut plus aucun doute lorsqu’il l’entendit déclarer :

— Mon colonel, nous ne recevons que le mardi et le…

— Bouloche ! interrompit Jean Cardignac, toi, ici !… mes compliments !…

— Ah ! mon colonel, fit le digne homme… c’est vous !… Que je suis donc content de vous revoir !…

— Et ton Ministre, est-il là ?

Mais Bouloche, tout à ses effusions, ne pensait guère à son Ministre.

— Mon colonel, reprit-il, j’ai bien des excuses à vous faire de ne pas vous avoir appris mon avancement ; mais voilà tout de même que je me fais vieux… je n’ai plus que deux ans à faire pour ma retraite… Seulement, voilà : irai-je jusqu’à ma retraite ? Comment tout ça va-t-il finir ? C’est que ça va rudement mal… C’est égal, je suis content tout de même !…

C’était bien le Bouloche de jadis, toujours content.

Le colonel l’interrompit : il n’avait pas de temps à perdre, et, sur son invitation réitérée, le digne huissier entra dans le cabinet du Ministre pour annoncer le visiteur ; mais il en sortit presque aussitôt.

— Son Excellence n’est pas là, fit-il un doigt sur sa bouche… ou plutôt, ajouta-t-il plus bas encore, elle y est bien, mais Sa Majesté l’Impératrice vient de la faire demander pour délibérer, et alors… si mon colonel allait à la Direction d’artillerie dans les bureaux…

Mais dans les bureaux, Jean Cardignac ne trouva personne qui pût le renseigner. Le Directeur venait d’être nommé au commandement de l’artillerie du 2e Corps ; l’affolement était complet, les couloirs déserts.

Un capitaine d’artillerie qu’il rencontra dans un escalier lui jeta rapidement ces mots :

— Le Maréchal Bazaine vient d’être nommé généralissime ; c’est à lui qu’il faut vous adresser : c’est lui qui va faire toutes les nominations et les affectations à l’armée du Rhin.