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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/415

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— Moi, je vais trouver Bazaine à Metz pour lui demander un commandement, quel qu’il soit.

— C’est donc Bazaine qui succède à l’Empereur dans la direction des opérations ?… Vous en êtes sûr ?

— On me l’a dit au Ministère…

— Eh bien, c’est complet !

— Vous le connaissez ?

— Certes oui ; je le connais. Je l’ai vu à l’œuvre au Mexique. Il y a été surtout adroit et dénué de scrupules… Quant à ses talents militaires, je les cherche, et en ce qui concerne sa valeur comme entraîneur d’hommes… je la nie.

— Alors ce n’était pas l’homme qu’il fallait en un pareil moment…

— Ah ! Dieu ! non.

— C’est l’opinion publique, je crois, qui l’a imposé à l’Empereur…

— Alors, c’est plus triste encore ; quand c’est le caprice populaire qui choisit les grands chefs, la chute n’est pas loin.

Ils se séparèrent attristés, en échangeant une chaude étreinte.

Vers le soir enfin, le colonel et Mahurec purent trouver place dans un train en partance pour Châlons. Ce train emmenait un bataillon de mobiles, destiné au 6e Corps qui se complétait à Châlons avant de rejoindre l’armée de Metz. Jean Cardignac qui, pendant toute sa vie, n’avait connu que la belle ordonnance d’une troupe silencieuse et disciplinée, fut tristement impressionné par le spectacle que lui offrirent, pendant l’embarquement et le trajet, ces soldats d’occasion, que nul lien de discipline n’attachait à leurs chefs ou à leur drapeau. C’était dans la gare un tumulte indescriptible, où les chants avinés et les jurons se mêlaient aux discussions passionnées ou ineptes. Les uns déblatéraient à haute voix contre les généraux de l’armée du Rhin ; les autres proposaient des plans de campagne extraordinaires ; d’autres encore réclamaient la nomination de leurs officiers à l’élection, et, le cœur serré, Jean Cardignac évoqua la grande ombre de son Parrain. C’était sa main de fer qui manquait pour rompre à l’obéissance tous ces descendants des Gaulois ardents, bavards et prompts au découragement.

Le trajet de Paris à Châlons, qui eût dû s’accomplir en cinq ou six heures, en demanda quatorze ou quinze. À Château-Thierry, à Epernay, les voies étaient encombrées par des trains de matériel, les arrêts interminables ; les