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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/44

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Derrière ce charnier, entouré de ses dignitaires chamarrés d’or et de pierreries, monté sur un admirable cheval barbe à longue crinière blanche, qu’une splendide selle de velours vert brodée d’or faisait paraître plus admirable encore, le Dey d’Alger, Hussein, se tenait immobile.

Il avait le type osmanlis, les yeux très noirs et enfoncés sous l’orbite, le nez fort, la barbe brune et fournie, le teint mat et les pommettes saillantes.

À son côté, debout contre l’étrier du maître, un esclave noir, d’une taille colossale, revêtu d’une longue gandourah de soie bleue, armé d’un cimeterre à fourreau d’argent que retenaient à la ceinture deux chaînettes de cuivre, tenait, élevé au-dessus de la tête de Hussein, un large parasol qui, coupant les rayons solaires, étendait un plan d’ombre bleue sur son burnous de soie neigeuse.

On ne voyait, au milieu de ce flot d’étoffes blanches, que le visage du Dey, ses mains fines et ses bottes de maroquin rouge historié de dessins filigranes.

En apercevant le monstrueux amas de têtes coupées, les captifs avaient instinctivement poussé un cri d’horreur.

Leur exclamation épouvantée monta, vibrante, rompant le silence de mort qui planait, et, sur le visage de Hussein, un sourire cruel passa.

Mais le commandant dit d’une voix que son énergie rendait calme :

— Allons, mes amis, du sang-froid !

Et silencieux, refoulant leur émotion, tous s’avancèrent jusqu’auprès du sinistre tumulus.

Alors un homme sortit du groupe des janissaires. C’était Lakdar.

Il s’inclina profondément devant Hussein.

— Seigneur ! dit-il en arabe, que ton nom soit béni ! Voilà les chefs que j’ai pris et que tu m’as chargé d’amener à tes pieds. Dispose, d’eux. Allah est grand !

Il y eut un silence pendant lequel Hussein parcourut lentement le groupe des prisonniers ; puis il parla.

Sa voix rauque avait des frémissements de colère ; à plusieurs reprises, son bras, s’agitant nerveusement dans un geste de menace, indiqua les têtes grimaçantes aux pieds de son cheval.

Quand il eut terminé, Lakdar, sur son ordre, traduisit ses paroles :

— Le maître a dit :