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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/442

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Ils entrèrent dans l’église, tête nue ; les murs étaient troués par les obus, l’autel effondré et des débris de vitraux jonchaient les dalles.

Au milieu du chœur, une trentaine de corps étaient étendus côte à côte, Généraux, colonels, officiers supérieurs français et allemands confondus, dans leurs uniformes aux galons ternis, aux étoiles maculées, leurs sabres auprès d’eux.

Et soudain Georges se précipita en sanglotant et s’agenouilla auprès d’un de ces nobles morts.

Il venait de reconnaître son père.

Le colonel Cardignac avait reçu une balle en plein cœur : un filet de sang avait coulé le long de sa croix ; sa figure était calme et, les yeux fermés, il semblait dormir.

Haletant, la poitrine soulevée par des sanglots convulsifs, Georges, penché sur le corps de son père, l’embrassait, l’appelait !…

Un soldat allemand, en sentinelle dans un des bas côtés de l’église, s’approcha ; mais l’abbé d’Ormesson lui dit quelques mots à voix basse et le soldat s’éloigna sur la pointe des pieds, comme s’il eût craint de troubler le cruel deuil de cette âme d’enfant.

Ainsi, c’était pour arriver au sommet de ce calvaire, que Georges avait quitté le foyer désert, avait brisé le cœur de sa mère, en partant malgré ses supplications !

Pendant quelques minutes, il pleura, cria, implora ; puis, devant ce visage immobile et déjà revêtu de la majesté calme de la mort, il se tut ; une ardente prière monta à ses lèvres, puis le front dans ses mains, il songea à sa mère qu’il avait laissée là-bas, et qu’il ne reverrait plus que couverte du long voile des veuves.

Dans ce moment terrible, il revécut comme en un rêve les dernières heures de son séjour au foyer paternel.

Quel pressentiment l’avait poussé à le quitter ?

Comment avait-il pu, lui, enfant soumis et tendre la veille encore, signifier à sa mère, comme il l’avait fait, sa volonté de partir ?


Il revit la scène : une mauvaise nouvelle, l’annonce d’une grande défaite, avait paru ce soir-là dans un journal anglais ; d’après le Times, l’armée française se trouvait dans une position critique : coupée de la Moselle, avec