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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/101

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Enfin nous l’aperçûmes, et tout le monde, se redressant, forma le cercle autour des officiers pour avoir des nouvelles.

Hélas ! ce que nous entendîmes nous tomba comme un glas sur le cœur.

Le Maréchal de Mac-Mahon avait été blessé près de la Moncelle, dès le début de la bataille, vers six heures et demie du matin.

On l’avait transporté à la sous-préfecture et le général Ducrot avait pris le commandement ; mais le général de Wimpffen, porteur, paraît-il, d’une lettre de service du Ministre de la Guerre, avait revendiqué le commandement en chef.

De là des heurts, des hésitations, compromettant gravement l’unité de conduite dans la bataille engagée.

L’Empereur malade, affaibli, restait enfermé dans la sous-préfecture ; et quant au résultat de l’effort de nos troupes, il était négatif, bien qu’elles eussent dépensé depuis le matin un héroïsme surhumain.

Nous étions en effet bel et bien cernés, enserrés dans un cercle complet, infranchissable, qui se resserrait à chaque heure. Quant aux ordres, le lieutenant déclarait qu’il en avait cherché partout sans pouvoir en obtenir, au milieu de la confusion générale.

Que faire ? Essayer de s’engager à l’aventure vers l’ennemi : c’était sacrifier une centaine de vies humaines de plus, et le capitaine réfléchissait au parti qu’il fallait prendre, quand un spectacle émouvant et terrible nous apparut.

Sur la route, un général de division approchait au pas de son cheval.

Il semblait évanoui, comme mort ; et sa tête reposait sur l’épaule de son officier d’ordonnance, qui le soutenait de ses deux bras.

Je reconnus le général Margueritte ! Oui, c’était bien lui, l’ami de mon père et de mon oncle ! Je ne pouvais m’y tromper, malgré l’affreuse blessure qui lui ensanglantait la bouche et les joues.

Deux chasseurs d’Afrique, à pied, tenaient les chevaux par la bride, et, par derrière, suivait un groupe de cavaliers en tête duquel je reconnus soudain. mon cousin Pierre !. Oui, mon cousin Bertigny, en chasseur d’Afrique !

En proie à une émotion intense, je l’appelai à pleine voix.

Il tourna la tête, son regard exprima une immense surprise, et faisant volter son cheval il vint à moi.