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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/109

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minutie, leurs dispositions de surveillance ; qu’il fallait donc essayer de profiter de ces circonstances pour tenter de passer.

— J’ai choisi le point qui me semble le meilleur, conclut-il, et maintenant, à la grâce de Dieu !

Nous avons alors contourné Sedan, suivi la Meuse dans la direction et contre la presqu’île d’Iges, de façon à tourner Floing, occupé par les Allemands.

Nous marchions prudemment, au petit pas, et je dois avouer ici mon étonnement de n’avoir pas rencontré l’ombre d’un incident défavorable.

Dans les champs semés de blessés, de chevaux morts, des plaintes parfois s’exhalaient, traversant lugubrement la nuit.

Nous avons croisé un groupe d’ambulanciers, mais c’étaient des nôtres.

Nous aperçûmes aussi des ombres suspectes, qui se traînaient de cadavre en cadavre : des détrousseurs de morts, sans doute ; de ces chacals, de ces hyènes de champ de bataille qu’on abat quand on les trouve, comme on abat des chiens enragés.

Mais nous étions tenus au silence obligatoire, et nous dûmes les laisser se livrer en paix à leur sinistre besogne.

Enfin nous avons passé tout contre les avant-postes prussiens, installés à Floing, et, Pierre mettant alors son cheval au trot, je le suivis.

On nous interpella en allemand ; puis un coup de feu nous fut adressé, sans dommage pour nous du reste, et, une fois dégagés, nous nous lançâmes au galop dans une ravinette, au fond de laquelle coulait un ruisseau.

Au bout de cinq minutes… halte ! Nous étions passés.

Reprenant le pas, nous marchâmes en tâtonnant, comme on marche la nuit, faisant sans doute bien des crochets inutiles. Le jour pointa enfin, et ce nous fut à un double point de vue un vrai soulagement.

D’abord, on y voyait clair ! ensuite, sous nos pieds s’ouvraient les fonds de Givonne, en arrière, très en arrière d’Illy, c’est-à-dire très en dehors des lignes allemandes.

— Sauvés ! m’écriai-je.

Mais Pierre, toujours soucieux, doucha mon enthousiasme.

— Oui ! sans doute !… quand nous serons en Belgique, dit-il gravement.

« Il est vrai, ajouta-t-il, que nous sommes dans la bonne direction… En route !