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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/131

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Les troupes se succédaient en effet sans relâche pour se concentrer vers Besançon et de là piquer sur Belfort : il s’agissait d’abord de débloquer cette place, héroïquement défendue par le colonel Denfert-Rochereau ; puis de tâcher d’entrer hardiment dans le duché de Bade, afin de couper les Prussiens de leur base de communication.

Malheureusement le froid était terrible, et nos soldats, éprouvés déjà par de longues marches, en souffraient atrocement ! L’armée n’allait pas vite ; sur les chemins durcis et glissants, les chevaux n’avançaient pas et tombaient : les traînards se faisaient chaque jour plus nombreux.

Un matin, le 31 décembre 1870, Paul arriva triomphant chez M. Ramblot. L’enfant brandissait un billet de logement, et derrière lui deux soldats apparurent.

Le premier, un officier de haute taille, sous-lieutenant de turcos, bien pris dans sa tunique bleu de ciel et dans son large pantalon dit « flottard », s’avança.

— Monsieur ! dit-il, excusez-moi de vous importuner. Nous sommes de passage, et le bon hasard m’envoie loger chez vous avec mon brave « Barka ».

Il désigna un grand Arabe à mine rébarbative qui portait sa cantine et qui, tout grelottant dans sa large culotte de toile, relevait pourtant avec crânerie sa tête énergique aux grands yeux d’émail.

— Soyez le bienvenu, lieutenant, dit M. Ramblot, et veuillez accepter de déjeuner avec nous.

L’officier s’excusa d’abord ; mais sur l’insistance de M. Ramblot, il finit par accepter et se présenta en tendant au négociant cette carte de visite :


Paul AUGIER
Sous-lieutenant aux tirailleurs algériens.


Je dois vous dire, mes enfants, que c’était une habitude chez M. Ramblot de faire le plus chaleureux accueil aux soldats qu’il avait à loger. En cela, le brave homme croyait ne faire que son devoir tout strict, et il avait raison d’agir ainsi.

N’est-ce pas nous-même, ne sont-ce pas nos enfants que nous accueillons en la personne des soldats auxquels nous donnons gîte ? N’est-ce pas une vilenie, une très mauvaise action, de faire grise mine à ces pauvres gens qui se dépensent en force, en courage et en énergie pour nous défendre ?