Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! mais non ! s’écria la bonne femme, en s’arrêtant au milieu de la cour ; occupez-vous de faire vos devoirs, Monsieur Paul ! Vous ouvrir ! Ah ! mais non ! C’est votre oncle qui vous a enfermé à clé, pour vous empêcher d’aller courir avec les soldats ! Et même il m’a bien défendu de vous.

— Je vous dis que je veux sortir… Là ! entendez-vous ! interrompit le petit lycéen, en tapant du poing sur la barre d’appui. Ouvrez-moi !

— Non, et non ! Monsieur Paul, puisque je vous dis que m’sieu Henri me l’a défendu.

— Ah ! c’est comme ça !… Eh bien ! je sortirai tout de même !…

Alors, à la grande épouvante de Jeannette, le gamin enjamba avec décision l’appui-coude ; il s’accrocha des doigts aux rinceaux du mur, et, collé à la muraille, glissant à petits pas, en équilibre sur la saillie de zinc qui régnait au-dessous des fenêtres, il gagna, en moins d’une minute, un escalier extérieur, aux poteaux enguirlandés de vigne vierge, par lequel on accédait au premier étage du pavillon.

Jeannette Balourdin, trop saisie pour trouver une phrase à émettre, s’était pourtant élancée les bras en croix ; elle s’était placée sur la première marche, avec l’intention évidente de barrer la route au fugitif.

Mais « Monsieur Paul » avait sans doute fait de fortes études en gymnastique, car, arrivé à la troisième marche, empoignant la rampe à deux mains, il sauta par dessus, d’un élan, retomba sur ses pieds dans la cour, ramassa vivement son képi ; puis, riant maintenant d’un franc rire, il poussa l’inconvenance jusqu’à faire, à l’adresse de l’impuissante Jeannette, ce geste qui consiste, après avoir appuyé le pouce sur l’extrémité de son nez, à agiter les quatre autres doigts, comme pour actionner les clés d’un piston fictif.

Satisfait alors, le gamin prit sa course, gagna la rue et disparut.

— Ah ! le Peu Mandrin !… Le Peu Mandrin ! s’écria Jeannette courroucée. Que va dire M’sieu Henri ?… Ah ! le Peu Mandrin !

Ceux de vous, mes enfants, qui ont vu le jour dans la bonne et vieille Bourgogne, savent ce que veut dire ce vocable : Peu Mandrin ! Ils pourraient, expliquer à leurs camarades que Mandrin fut un brigand célèbre, au siècle dernier, et que son renom lui a survécu dans ces régions ; aussi dans le langage populaire, applique-t-on encore aujourd’hui son nom comme une épithète malsonnante, à ceux qui commettent quelque méfait. Mandrin, en patois de Bourgogne, signifie « mauvais sujet ». Quant à ce mot Peu, c’est