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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/206

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par l’ambassade d’Allemagne, à Paris ; or cette ambassade refuse impitoyablement ce visa à tout officier français.

— Mais pourquoi cela ?

— Pourquoi ? parce que, depuis six ans, la germanisation de l’Alsace-Lorraine n’a pas fait un pas, que nos frères de là-bas conservent l’espérance tenace d’une délivrance prochaine, et que Bismarck, en appelant parmi eux, pour les noyer dans leur masse, tous les immigrés allemands qu’il peut racoler de l’autre côté du Rhin, veut empêcher d’autre part tout contact avec les Français qui pourraient leur parler d’espoir.

— Et si j’y allais sans permission, sous un autre nom, avec un passeport étranger ?

— Impossible encore ; dès la traversée de la frontière, tu serais « filé », ta photographie prise, et envoyée à l’agence d’espionnage allemande de Paris, d’où elle reviendrait aussitôt avec tes nom, prénoms et qualités ; trois jours après ton passage à Avricourt, tu serais arrêté, et, comme officier, envoyé dans une forteresse à Custrin ou à Mayence.

— C’est un peu fort tout de même !

— C’est le sort des vaincus, mon pauvre Georges, il faut s’y faire : c’est dur tout de même pour une nation qui n’y est pas habituée…

— Mais qui est-ce qui empêche la France de leur rendre la pareille ?

— Que veux-tu dire ?

— Pourquoi ne ferme-t-on pas aussi notre frontière aux officiers allemands ? car on ne leur dit rien à eux.

— Rien du tout, tu as raison. Les commissaires de surveillance allemands des gares frontières ont des albums contenant toutes les photographies des officiers de notre sixième corps, et aucun de ces derniers ne passerait la ligne de démarcation sans être reconnu et arrêté ; en revanche, les officiers allemands de Metz, et Dieu sait s’il y en a, viennent quotidiennement se promener à Verdun, s’amuser à Nancy ; on les reconnaît aisément, on les connaît même ; on les laisse aller et venir pourtant. Que veux-tu ? c’est comme cela !…

— Mais pourquoi, pourquoi ?

— Encore une fois, mon pauvre enfant, parce que nous sommes des vaincus : c’est la loi humaine !

— Oh ! fit Georges, les poings serrés.