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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/211

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La matinée se passa ainsi, et, suivant l’usage, les Lorrains restés Français reconduisirent, jusqu’au poteau-frontière, les annexés venus de la Lorraine allemande. — Il y eut là de chaudes étreintes sous l’œil des gendarmes allemands, impassibles de l’autre côté de la ligne fictive qui séparait les deux pays.

Le commandant Marin et les trois jeunes gens n’avaient pas manqué, leur visite aux tombes terminée, de suivre le cortège des partants, et quand ils furent près du poteau, le vieillard, sans dire un mot, regarda Georges et tendit le bras vers le Nord-Est.

— Saint-Privat n’est pas loin ? demanda à voix basse le fils du colonel Cardignac.

— Quinze kilomètres à peine, mon enfant !

À quatre heures, la petite commune de Mars-la-Tour avait repris sa physionomie habituelle ; les pèlerins du 16 août étaient partis, se donnant rendez-vous à l’année suivante ; mais l’un d’eux était resté : c’était Georges, et nul n’eût pu le reconnaître, lorsqu’il monta auprès du commandant Marin dans une petite voiture à deux places, attelée d’un vigoureux cheval. Il avait changé sa tenue de Saint-Cyrien contre un costume civil trouvé dans le village : quant au vieillard, il avait enlevé son ruban rouge.

Ils franchirent sans encombre la frontière, où, de garde jusqu’au soir, les trois gendarmes allemands, las d’observer, ne les dévisagèrent point et ne leur demandèrent aucun papier, les prenant pour des annexés qui rentraient chez eux.

À Gravelotte, la voiture quitta la grande route de Metz, et, tournant à gauche, s’engagea sur le chemin de Verneville et d’Amanvilliers. De temps en temps, le commandant montrait un point, et, de loin en loin, donnait quelques explications brèves, jetant un nom. Silencieux, la gorge serrée, Georges écoutait.

À sept heures et demie, tous deux descendaient de voiture à l’entrée d’un sentier, laissant le cheval à la garde d’un paysan.

La nuit tombait ; au fond, sur la gauche, des lumières s’allumaient, et Georges se rappela : c’était Sainte-Marie-aux-Chênes. Alors qu’il suivait l’ambulance, le lendemain de la bataille, l’abbé d’Ormesson lui avait raconté l’héroïque défense du 94e, enfermé dans le village avec le colonel de Geslin ; plus à gauche, c’était Saint-Ail d’où étaient partis les régiments Reine-