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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/23

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enthousiasme. Vous avez vu, mes enfants, que la précaution de l’oncle Henri avait été vainc devant le premier coup de canon.

Pour l’instant, notre camarade, après avoir enfilé au grand galop la rue du Bourg, venait de déboucher sur la place d’Armes.

Une grande confusion y régnait, des détachements de soldats de toutes armes s’y croisaient, s’y enchevêtraient, cherchant l’emplacement de leur compagnie, au milieu des cris et des observations des officiers. D’autres partaient isolément ou par petits groupes vers le bruit du canon, dont la note grave et vibrante dominait de temps en temps ce tumulte.

Individuellement, les gardes nationaux sans uniforme, mais coiffés du képi noir à bande rouge, s’élançaient dans la même direction, pendant que dans les rues, au loin, les tambours, battant le rappel, résonnaient lugubre.

À vous dire vrai, mes enfants, c’était de la confusion pure et simple : il n’y eut pas, à proprement parler, d’ordre général donné ; nulle direction ne coordonna ces divers et faibles éléments épars de l’armée des Vosges. Le seul ordre qui courut partout, comme une traînée de poudre, fut : « Marchons au canon ! »

Notez, mes enfants, qu’on n’avait pas ce jour-là, à Dijon, un « seul canon » à opposer aux trois batteries badoises qui, dès midi, avaient pris position près du village de Saint-Apollinaire et commençaient à tirer.

Du reste, on ne s’illusionnait pas ; on ne luttait pas pour vaincre : on savait très bien que le nombre était du côté de l’ennemi et que la défense était une noble folie ; mais c’est justement ce qui rend plus honorable et plus digne de votre admiration cette lutte d’une ville ouverte, contre du canon ! Et, ce jour-là, 30 octobre 1870, les défenseurs de Dijon furent superbes, puisqu’ils luttèrent « uniquement pour l’honneur !… »[1]

Paul avait vite pris son parti. Dans la foule des soldats, il avait de suite distingué des pantalons rouges, et, d’instinct, suivi une centaine de soldats d’infanterie de ligne — une demi-compagnie du 90e, — qui courait au pas gymnastique vers le faubourg Saint-Nicolas. Fiévreux, emporté comme en un rêve au milieu du tumulte, il arriva, pour ainsi dire sans s’en douter, sur le champ de bataille.

  1. Comme je vous l’ai déjà dit pour Châteaudun, la ville de Dijon fut aussi décorée, plus tard, tant pour sa défense du 30 octobre 1870 que pour les batailles qui eurent lieu sous ses murs, les 21, 22 et 23 janvier 1871.