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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/26

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martellement répété des coups de feu. À ses côtés le sergent tirait, la fumée grisait le collégien, lui emplissait les poumons. Il s’étonna de voir le sous-officier cracher dans la culasse de son chassepot, après chaque coup, pour en lubrifier les parois encrassées par les gaz de la poudre ; mais ce qu’il admira le plus, ce fut le lieutenant, qui, tout debout derrière la ligne de ses hommes, fumait son cigare et restait aussi calme, aussi tranquille, que s’il eût été dans la cour de la caserne, à passer la revue de la garde montante.

Hypnotisé par l’atmosphère spéciale qui l’enveloppait, l’enfant ne pensait plus à rien ; il subissait seulement des impressions d’une violence extrême, qui lui faisaient passer le long des nerfs un frémissement continu.

Frisson de peur ? Non pas !

Paul n’avait pas peur, puisqu’il restait là, en plein combat, alors que rien ne l’y contraignait et qu’il eût pu, en se glissant dans le fond du fossé, revenir en arrière, dans la zone tranquille et rentrer chez lui. Non ! il n’avait pas peur, le petit Paul, et le frisson qui l’agitait provenait d’une toute autre cause : il vibrait ainsi parce qu’il éprouvait une émotion intense, et bien compréhensible, à se sentir en contact avec la mort qui passait ! Cela lui gonflait le cœur d’une bouffée d’orgueil.

Il avait lu et relu, avec enthousiasme, les aventures, de « Jean Tapin », et le souvenir du petit tambour de la 9e demi-brigade, se forçant à la Croix-aux-Bois, sous la semonce de Belle-Rose, à ne pas saluer les balles, l’avait hanté, dès le début de la fusillade. Paul n’avait pas bronché à leurs stridulations, à leurs froufrous inquiétants, et cette attitude n’avait pas été sans surprendre le vieux sergent.

Cela durait depuis une demi-heure.

Paul avait bien vu, de loin, tomber quelques hommes sur notre ligne. Plusieurs autres, blessés, s’étaient reportés en arrière ; mais il n’avait pas encore vu la mort faucher tout près de lui. Tout à coup, un ronflement formidable passa, secouant les branches et les feuilles séchées des arbres ; un craquement se produisit dans le mur du parc de Montmusard, puis un éboulis de pierres disloquées, une détonation effrayante, un jet de flamme, de la fumée, et dans le bourdonnement qui suivit, des cris et des plaintes !

Paul et le sergent lui-même s’étaient courbés sous le vent de l’obus. Ils se redressèrent.