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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/268

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Georges, interloqué, ne trouva pas un mot à répondre, mais une larme jaillit de ses yeux.

M. d’Anthonay, touché jusqu’au fond de l’âme, de la généreuse intervention du jeune homme et attristé du reproche qu’elle lui attirait, prit la parole et, d’un ton ferme et convaincu, raconta au commandant supérieur ce qu’il savait du passé militaire du jeune officier. Pendant qu’il parlait, le pli qui barrait le front de son interlocuteur disparut et lorsqu’il eut terminé :

— Allons, allons, fit le colonel, j’ai été un peu dur pour votre jeune ami : j’ignorais tout ce que vous venez de m’en dire et surtout sa belle conduite en 1870, garantie évidente de ce qu’il pourra faire ici : mais il n’en est pas moins, sinon trop jeune, du moins beaucoup trop ignorant des choses coloniales pour commander, même à cinquante hommes, si ces hommes forment une colonne isolée dans la brousse ; car vous n’ignorez pas, vous, monsieur, qui connaissez ce pays, quelle responsabilité pèse sur le chef qui doit assurer leur ravitaillement, leur direction, leur discipline en cas de danger. Voyez Galliéni qui est maître en la matière, que de difficultés il rencontre dans sa mission à Ségou. J’ignore même s’il pourra y arriver : c’est pour l’appuyer que j’avais l’intention de pousser une colonne, vers le mois de juin, sur le Niger. Voici donc ce que je vais faire : je vais envoyer à mi-chemin la compagnie dont fait partie M. Cardignac ; le capitaine Cassaigne qui la commande est un vieux colonial en qui j’ai la plus entière confiance ; je lui adjoindrai une centaine de vigoureux Bambaras, recrutés précisément sur les confins du pays où vous allez ; il s’installera en un point que je lui indiquerai et d’où il pourra rayonner pour vous chercher les renseignements nécessaires.

— Merci, mon colonel, dit l’ancien magistrat d’un ton pénétré : je savais bien que vous ne laisseriez pas impuni un attentat contre un de nos compatriotes. Si M. Ramblot peut être sauvé, il le sera, et il le sera grâce à vous.

Grand fut l’étonnement du capitaine Cassaigne lorsque, appelé chez le commandant supérieur, il y apprit qu’il partait dès le lendemain en colonne et prendrait le commandement de la flottille qui allait remonter le Sénégal. Sa joie égala son étonnement, car ce qu’il redoutait le plus, c’était de se voir enlisé pour plusieurs mois à Saint-Louis, dans cette vie déprimante de garnison où l’on subit les rudes atteintes du climat sans avoir l’indépendance de la vie de campagne ; et quand il sut qu’il devait en partie ce commandement