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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/274

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M. Gardette aîné, le co-propriétaire du bazar, était un brave homme, d’une grande prévenance vis-à-vis des officiers qui étaient ses principaux clients ; il présenta le noir au jeune homme, et le Yoloff, par mille congratulations, se montra enchanté. Mais son costume, un long bou-bou (voile en guinée blanche) retombant en large culotte bouffante, simple comme celui de ses congénères, paraissait l’humilier beaucoup, car il s’excusa de ne pas être beau. Alors il raconta avec volubilité qu’il se nommait Bodian, qu’il venait de Bakel et avait gagné beaucoup d’argent : il montra sa bourse et commença ses achats. Un costume de velours vert orné de brandebourgs et doublé de satin, une toque de velours grenat soutachée d’or, des bottes rouges à glands d’or et brodées en fil métallique, une canne à pomme d’argent, une ombrelle et des lunettes bleues, telle fut l’accoutrement d’opéra comique dont il sortit affublé de la boutique du traitant. Presque aussitôt une bande de noirs crasseux lui emboîta le pas dans la rue, en lui criant à tue-tête qu’il était beau, qu’il était riche, qu’il était généreux : un griot[1] se planta devant lui, faisant mille salamalecs et contorsions, l’accablant de louanges.

Et le Yoloff, la tête haute, gonflé d’orgueil, distribuait à tous de la monnaie à pleines mains.

— Voici le Yoloff, dit M. Gardette. Il a peiné pendant des années pour gagner un peu d’argent, en vendant des marchandises dans le Haut-Fleuve : il n’a plus qu’une ambition, revenir ici. Il commence par y faire des dépenses folles, puis distribue peu à peu ce qui lui reste à ses adulateurs. Dans quelques jours, il reviendra me rendre toutes les pièces du costume et repartira en voyage, prêt à supporter de nouvelles fatigues, pour revenir ensuite émerveiller ses amis de Saint-Louis.

Mais au même moment, Georges fut frappé par l’entrée d’une jeune femme vraiment belle et gracieuse. Ses traits étaient réguliers, son teint bronzé, sa taille mince et délicate, ses yeux languissants.

Elle appela le traitant d’une voix douce, pour faire choix d’un bijou.

À ses cheveux longs et épais elle avait attaché des boutons de cuivre, et portait aux oreilles des anneaux d’or ; à ses bras et à ses pieds brillaient des bracelets de cuivre luisant. Un homme l’accompagnait, semblable à elle,

  1. Noirs dont le rôle est de flatter les chefs et d’en devenir les favoris.