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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/283

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quinze à vingt kilogrammes, ce sont des nègres qui le portent : le soldat français ne conserve par devers lui que son fusil, ses cartouches, son bidon rempli de café et sa musette contenant un repas froid.

Rien que pour porter ce précieux « barda » (c’est ainsi que le soldat d’Afrique appelle son sac, du nom que les Arabes donnent au bat du mulet), il fallut une centaine de porteurs à la colonne.

Une autre centaine fut chargée des munitions d’infanterie, d’un approvisionnement de dynamite et de fusées, des cent fusils destinés aux tirailleurs noirs recrutés dans le pays Bambara, et d’un petit canon de montagne que le commandant supérieur avait confié au capitaine Cassaigne, avec six caissons de munitions, renfermant cent quatre-vingts obus.

Avec sa longue habitude du Sénégal, il savait en effet que la colonne pourrait un jour se trouver obligée de donner l’assaut à un de ces villages nègres fortifiés, nommés tatas, dans le rempart desquels le canon seul peut ouvrir une brèche : d’ailleurs, « le grand moukala » (ainsi appelle-t-on le canon en pays musulman), est aussi redouté des maures que des fétichistes.

Mais ce qui nécessitait le plus grand nombre de porteurs, c’était l’ensemble des approvisionnements de bouche. Le capitaine Cassaigne comptait bien vivre sur le pays en achetant des bœufs, des moutons, des volailles, du mil, du maïs et en acceptant du couscous des villages alliés ; mais il fallait prévoir qu’on traverserait des solitudes dénuées de toutes ressources, ou des contrées dévastées par ce Samory qui ne laissait derrière lui que désert et incendie ; il était donc de la plus élémentaire prudence d’emporter un mois de vivres pour la colonne. Trois cents porteurs furent recrutés dans ce but, chacun d’eux recevant pour sa part une charge uniforme de trente-cinq à quarante kilogrammes, dont il était responsable et qu’il ne pouvait abandonner, sans risquer dans sa fuite de recevoir un coup de fusil.

Enfin, à ces « charges » s’adjoignit un certain stock de cadeaux, destinés à des chefs indigènes, dont il était plus prudent et plus politique de s’assurer l’alliance que de forcer l’obéissance. Ces cadeaux consistaient en fusils de chasse, revolvers, étoffes aux couleurs voyantes, colliers de perles fausses, verroteries, miroirs, savons et flacons d’odeurs ; le capitaine Cassaigne avait même fait confectionner devant lui deux petites caisses, renfermant des objets sur la nature desquels il gardait le secret.