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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/30

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Du reste, dans un emmêlement d’uniformes, tous les combattants refluaient vers la ville, sans débandade il est vrai, mais sans coordination.

Sauf les chasseurs, les lignards et quelques mobiles, tous, gardes nationaux ou francs-tireurs, agissaient individuellement et, tout en tiraillant, regagnaient le faubourg Saint-Nicolas et les vieux remparts du temps des ducs de Bourgogne.

Paul resta avec les soldats du 90e : il suivait le sergent comme son ombre. Au moment où ils abandonnaient l’abri du mur de Montmusard, ils se retrouvèrent en plein dans le champ de tir de l’ennemi.

On riposta, tout en reculant d’arbre en arbre, d’abri en abri, et c’est là que l’enfant tira son premier coup de feu.

Il ressentit, en pressant pour la première fois la détente de son arme, une impression aiguë, rapide comme un éclair : ce fut à la fois de la crainte, de la curiosité et aussi une angoisse indicible, en pensant qu’il tirait sur des hommes !

Mais son hésitation fut courte, et, réagissant par un violent effort de volonté, il appuya jusqu’au bout sur la détente et brûla sa première cartouche… en fermant les yeux !

Le choc de la crosse sur son épaule, la détonation qui lui résonna jusque dans le cœur, le flot d’acre fumée qui lui jaillit au visage en rouvrant le « tonnerre » de son chassepot, secouèrent le lycéen qui fut pris d’une véritable griserie ; et Paul se mit à tirer, à tirer, sans même entendre le sergent qui lui disait de temps à autre :

— Pas si vite, garçon !… pas si vite !… Tu te presses trop. Tu n’ajustes pas.

Cependant, comme on arrivait tout à fait à l’angle du mur, une troupe de gardes nationaux les rejoignit, et Paul eut un sursaut en s’entendant appeler par son nom.

Il se retourna et reconnut M. Cave, son professeur de physique au lycée.

Tout jeune encore, d’un visage doux et régulier, encadré de favoris noirs, M. Cave, qui cependant laissait à son logis ses deux petites filles, toutes petites, n’avait pas hésité à faire son devoir de soldat ; il avait pris son vieux fusil de garde national et s’était, comme tant d’autres, porté au-devant de l’ennemi.

— Malheureux enfant ! cria-t-il, que faites-vous ici ? Votre pauvre oncle est fou de douleur ! Rentrez vite !