Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le voilà qui se compare au Grand-Turc, dit le capitaine Cassaigne en riant à son tour. Mais il faut avouer que c’est une singulière destinée que celle de ces malheureuses négresses, aujourd’hui femmes légitimes de Lakdar, demain femmes non moins légitimes de Barka qu’elles n’ont jamais vu

— Moukères bien contentes, affirma l’ancien « téraïour ».

— Parbleu, fit le capitaine Cassaigne en riant plus fort : c’est toi qui le dis : mais écoute, Barka, je vais te faire ou plutôt faire à tes femmes, aux anciennes ou aux nouvelles, comme tu voudras, un joli cadeau : comme je comptais négocier plutôt que combattre, j’avais apporté avec moi quelques articles de Paris qui font toujours leur petit effet sur les négresses : j’ai constaté cela cent fois : offre-les leur de ma part : tu trouveras ces cadeaux dans une caisse que j’ai laissée dans ta « capitale » à Kineira.

— Quis qui ci ? demanda le monarque intrigué.

— Tu verras, je veux te laisser la surprise : mais sois tranquille, tu connais ces objets-là et tu montreras à tes femmes la manière de s’en servir. En attendant, allons nous reposer quelques heures, nous en avons tous besoin.

Le lendemain matin, la colonne, suivie de tous les survivants du tata, que Barka incorporait à ses sujets d’après le seul droit du plus fort, la colonne refaisait en sens inverse le chemin parcouru, et trois jours après, à la nuit tombée, elle arrivait à Kineira.

Pendant que les Européens s’installaient au camp pour un repos bien gagné, Barka, entouré de ses principaux chefs, y faisait une entrée triomphale, à la lueur de torches, formées de racines de la liane caoutchouc imbibées de résine, et, toute la nuit, le bruit des « darboukas » et les « you-you » des femmes célébrèrent, dans une orgie de vacarme, la victoire dont le « roi Ahmed » s’attribuait modestement le principal mérite.

Avant de prendre congé, ce soir-là, du capitaine Cassaigne, Barka n’avait pas d’ailleurs manqué de clami, c’est-à-dire de réclamer, la caisse de cadeaux qui lui avait été promise, et, précédé de deux noirs qui la portaient respectueusement comme ils eussent fait d’un fétiche, il avait pénétré, suivi de ses nouvelles épouses, dans ce qu’il appelait maintenant son « harem ».

Le lendemain matin, au moment où tout le monde reposait encore au camp, un messager arriva couvert de sueur : il venait du Nord.