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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/352

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Notre ami allait donc, pensez-vous, revoir la France, embrasser sa mère, revoir ses amis ?

Non, mes enfants, la destinée en avait disposé autrement, et la compagnie dont il faisait partie, quittant le Redoutable pour remonter sur le transport la Saône, recevait, le 18 juillet, l’ordre de se rendre en Cochinchine.

Georges Cardignac en ressentit, il faut bien l’avouer, un léger coup au cœur, car il avait gardé au fond de lui-même un vague espoir que chaque jour écoulé renforçait ; il se disait que, si le mariage de Lucie Ramblot était décidé, il ne manquerait pas d’en avoir confirmation, au moins par une lettre de faire-part : il ne pouvait être oublié à ce point ; qu’il n’eût rien reçu jusqu’à présent, il ne s’en étonnait pas, car à sa mère seule il avait fait part de son embarquement pour l’Égypte, et ses amis le croyaient encore au Sénégal.

Maintenant il lui fallait renoncer à l’espoir de les revoir avant longtemps, car les séjours en Cochinchine étaient toujours de deux années au moins ! Il ne devait pas non plus compter avant plusieurs mois sur les lettres qui le cherchaient au Soudan, car ces pauvres lettres allaient faire plus d’un chassé-croisé avant d’être dirigées sur l’Extrême-Orient. Refoulant donc de nouveau, au fond de son cœur, la douce vision que la perspective d’un retour en France avait fait renaître, Georges Cardignac ne songea plus qu’à se bien comporter dans le nouveau pays où l’envoyait son étoile errante de « marsouin ».

Il ne devait d’ailleurs y arriver qu’en mars 1883, ayant été débarqué sur un point de la côte d’Afrique qui, depuis, est devenu un poste important de notre domaine colonial, parce qu’il ouvre des communications avec l’Abyssinie. Je veux parler d’Obock, où Georges passa quatre mois sous un climat torride, sans autre distraction que les lettres de sa mère, sans nouvelles de ses amis du Sénégal et finissant par se croire oublié d’eux. Enfin, après ce stage pénible sur les bords de la mer Rouge, il partit pour Saïgon.


En 1882, mes enfants, la France avait en Cochinchine les trois provinces de Saïgon, Bienhoa et Mytho ; elle exerçait, depuis 1863, son protectorat sur le Cambodge, et, grâce au courage extraordinaire du lieutenant de vais-